Rapports

L'interprétation judiciaire dans une Europe pluriculturelle et multilingue

Bodil Martinsen et Kirsten Wølch Rasmussen
Handelshøjskolen i Århus, DK

Table des matières
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La liberté de mouvement entre les pays de l’UE entraîne une mobilité accrue à l'intérieur des frontières de l'Union. Simultanément, les pays membres attirent des migrants et des immigrants en provenance de tous les pays du monde. Parmi eux, des travailleurs, des invités ou des touristes, mais aussi des réfugiés demandeurs d’asile.

Il existe donc au sein de chaque Etat membre une population multilingue et pluriculturelle parlant une large palette de langues, non seulement européennes, mais aussi les langues d’Asie, d’Afrique et d’Europe de l’Est. Il y a un accroissement de l’immigration en provenance de pays extérieurs à l’UE, et bien souvent, les membres de ces populations non-autochtones se caractérisent par leur ignorance de la langue du pays dans lequel ils vivent, qu'ils soient établis définitivement ou simplement de passage. Ceci peut engendrer des problèmes si, pour une raison ou pour une autre, ils se trouvent en conflit avec la justice ou s’ils ont simplement besoin de l’aide des services juridiques, puisque la langue utilisée dans les tribunaux est en général la langue nationale du pays en question. Mais cette question ne se résume pas seulement à des problèmes de langue : c’est aussi un problème culturel, c’est à dire un manque de compréhension réciproque des systèmes juridiques et du fonctionnement judiciaire, et c’est là un problème qui peut compromettre les droits de l’individu face à la justice.

L’égalité d’accès à la justice au-delà des barrières linguistiques et culturelles

Les personnes travaillant au sein des systèmes judiciaires des Etats membres de l’UE doivent accorder à tous le même accès à la justice, quelle que soit la langue et la culture des personnes concernées (Convention européenne des droits de l’homme/ Traité d’Amsterdam), mais la qualité des décisions et des actions en justice dépend de la qualité de l’information sur laquelle elles sont fondées.

Une communication fiable et précise est donc un pré-requis pour faire respecter l’égalité. Lorsque les personnes impliquées dans un acte de communication, qu'il soit effectif ou virtuel, ne partagent pas totalement la même langue et le même milieu culturel, la fiabilité et la précision de l’acte de communication, ainsi que l’égalité des interlocuteurs, sont menacées.

Une importante contribution à la solution de ce problème pourrait venir de l’assistance d´interprètes assermentés qualifiés, et de traducteurs juridiques, puisqu'une grande partie de la communication au sein du système juridique se fait par écrit. Les interprètes et les traducteurs doivent être formés au plus haut niveau, être évalués et être soumis à des normes de pratique professionnelle identiques dans tous les pays d’Europe. Et, ce qui est tout aussi important, les juristes devraient être capables de travailler avec les interprètes et les traducteurs et devraient savoir travailler en tenant compte des facteurs culturels.

Au sein des pays de l‘UE il y a une prise de conscience croissante du problème de l'égalité d’accès à la justice et, en même temps, de la nécessité d’améliorer la qualité de l’interprétation judiciaire et de la traduction juridique. Ce sujet de réflexion figure maintenant au centre d'un certain nombre de conférences sur l’interprétation judiciaire. Citons par exemple le 4ème Forum international et 1er Congrès européen sur l’Interprétation judiciaire et la Traduction juridique, sur le thème La langue est un Droit Humain, à Graz, Autriche, en novembre 1998, ainsi que le 6ème Forum International sur la Traduction juridique et l´Interprétation judiciaire prévu à Paris en juin 2002. Les conférences sur l’interprétation et la traduction à travers l’Europe consacrent de plus en plus de place à l’interprétation judiciaire. L’égalité d'accès à la justice, et notamment le problème de l’interprétation judiciaire, sont également des sujets de préoccupation pour les autorités européennes.[1] En 1998, ces dernières ont décidé de financer, sous les auspices du programme GROTIUS « Egalité d'accès à la Justice », un projet sur deux ans couvrant l’interprétation judiciaire et la traduction juridique : le projet Grotius 98/GR/131. Celui-ci s'est prolongé depuis la fin de 2001 dans le cadre d'un second projet Grotius, le 2001/GR/015, prévu cette fois pour une durée d’un an.

Le projet Grotius 98/GR/131

Ont pris part à ce projet des universitaires belges, danois, britanniques et espagnols. Le but était d’établir des normes européennes pour le contenu des formations, l’évaluation et les pratiques professionnelles des interprètes judiciaires et des traducteurs. Parmi les résultats de ce projet, citons les directives relatives aux critères de sélection et à l'évaluation, des propositions de contenus de cursus, des recommandations pour la formation, des modèles pour les codes de déontologie et de bonnes pratiques et des recommandations pour la coopération entre les interprètes, les traducteurs et les services juridiques. Les résultats ont été publiés dans un livre intitulé Aequitas : l’accès à la justice au delà des langues et des cultures en Europe (2001).[2]

Le projet Grotius 2001/GRP/015

Ce deuxième projet réunit des universitaires et de services juridiques de Belgique, du Danemark, de Grande-Bretagne, des Pays-Bas et de la République Tchèque. Le but est d'organiser une conférence européenne pluridisciplinaire pour les représentants des services juridiques, les interprètes judiciaires et les traducteurs et de créer un site Internet. Le thème de la conférence, qui aura lieu en novembre 2002 à Anvers en Belgique, concerne la définition de modes de coopération inter-disciplinaires, et notamment la mise au point d'un code de déontologie et la mise en œuvre de stratégies nationales et européennes pour l’égalité d’accès à la justice au delà des langues et des cultures.

Le projet vise notamment un double objectif :

Le projet doit déboucher à la fois sur des recommandations et des directives cadres et sur des outils pratiques et des matériaux pédagogiques. Le tout sera rendu accessible dans tous les Etats membres et dans les états candidats à l'accession, par la publication des comptes-rendus de la conférence dans un livre et sur le site dédié au projet (www.legalinttrans.info).

Retombées des projets Grotius au Danemark

Le premier projet Grotius avait prévu la mise en place dans chacun des pays partenaires de comités interdisciplinaires nationaux comprenant à la fois des juristes, des interprètes et des traducteurs judiciaires et juridiques, et les deux participants nationaux au projet. Cette initiative a donné lieu à des coopérations dans différents domaines et à une prise de conscience grandissante de l’importance que revêt une communication efficace entre les langues et les cultures au sein du tribunal, du commissariat de police ou dans d’autres lieux où exercent les services juridiques.

Dans le cadre d’une « campagne de prise de conscience » au sein des services juridiques, deux membres du Comité National ont publié à cet effet un article dans une revue juridique, traitant de l’assistance aux interprètes dans les tribunaux danois, et mettant l’accent sur les changements nécessaires pour assurer une bonne communication.[3] Les deux participants au projet furent invités à participer à un séminaire organisé pour les juges danois, pour discuter des possibilités de conventions interdisciplinaires entre les interprètes et le milieu judiciaire et des qualifications et des procédures de reconnaissance des interprètes auprès des tribunaux.

Autres retombées du projet Grotius :

Les activités décrites ci-dessus ont non seulement amélioré les conditions de travail des interprètes judiciaires et la coopération entre les interprètes et les juristes, mais ont également engendré parmi les professionnels non-linguistes une prise de conscience grandissante de la complexité des processus de communication entre les langues et les cultures, établissant ainsi une base solide et prometteuse pour de futures coopérations.

Notes

[1] Le comité scientifique “Traduction et Interprétation”, représentant l'un des sous-projets du Réseau thématique dans le domaine des langues (1996-1999) conduit sous l'égide du Conseil européen pour les langues, a produit une série de recommandations relatives aux critères applicables à l'enseignement et à la pratique professionnelle de l'interprétation de liaison et de service public, et en particulier à l'interprétation judiciaire.

[2] Hertog, E. (ed.) (2001) Aequitas - Access to Justice across Language and Culture in the EU. Antwerp: Lessius Hogeschool.

[3] Bisgaard, O. et B. Martinsen (2000) Tolkebistand i retssager, Ugeskrift for Retsvæsen. København: Forlaget Thomson.


Bulletin d'information 8 du CEL - avril 2002