Rapports |
L'assurance
qualité : De Bologne à Berlin, en passant par Prague
Karen
M. Lauridsen |
La mise en œuvre de procédures d'assurance qualité est un préalable à la réalisation des objectifs de la déclaration de Bologne (1999). C'est pourquoi la qualité est actuellement en passe de devenir l'une des préoccupations permanentes de l'enseignement supérieur en Europe. Cette préoccupation s'étend bien évidemment au domaine des langues, notamment dans les formations en traduction et interprétation. Le but de cet article est de décrire le contexte dans lequel les universités devront développer des mesures d'assurance qualité dans le domaine des langues, et de faire état en particulier d'une initiative récente pour la mise en place d'une procédure d'accréditation pour les formations en traduction et interprétation.
L'un des objectifs visés par le processus de Bologne et repris dans le communiqué de Prague (2001) [1], est le recours à la coopération universitaire européenne pour assurer la mise en œuvre de normes de qualité rigoureuses dans l'enseignement supérieur européen et pour faciliter l'équivalence des diplômes à travers toute l'Europe. Mais s'il est facile de s'accorder sur la nécessité de la qualité, comment définir la qualité que nous voulons assurer au niveau européen, national et institutionnel, et comment la mesurer ?
La définition et l'évaluation de la qualité exigent la définition commune de normes au niveau institutionnel, inter-institutionnel, national, européen et international. Ces normes ne peuvent pas se contenter d'être descriptives, mais doivent aussi comporter des objectifs de réalisation mesurables. Plusieurs procédures peuvent également être mises en œuvre : l'évaluation, l'étalonnage, l'accréditation, etc. Ces procédures peuvent s'appliquer à des institutions tout entières, des composantes à l'intérieur d'une institution, des programmes d'études ou à des domaines particuliers tels que l'internationalisation ou l'utilisation des TIC.
Il va sans dire que les objectifs fixés pour une évaluation qualitative donnée doivent être compatibles avec la méthodologie adoptée, et que les facteurs de qualité et les critères de succès doivent être définis de façon à pouvoir communiquer des résultats parlants pour toutes les personnes intéressées. Pour avoir un sens, une évaluation de la qualité doit s'inscrire dans tout un processus d'amélioration qualitative. Les résultats doivent fournir aux responsables de ces processus au niveau d'une institution, des éléments permettant une progression significative, c'est à dire qu'ils doivent contribuer de façon constructive à ces processus et démontrer en même temps aux acteurs extérieurs à l'institution le niveau de qualité atteint dans un ou plusieurs domaines donnés.
La mise en place de l'Espace européen de l'enseignement supérieur et le développement de la coopération entre les universités, notamment à travers le transfert de crédits et les diplômes conjoints, fait que les établissements doivent être de plus en plus à même de démontrer leur attachement au critère qualité. Au cours de ces dernières années, bon nombre d'universités ont subi des évaluations qualitatives à différents niveaux et conditionnent de plus en plus la poursuite de leur coopération avec leurs universités partenaires au fait qu'elles se soumettent au même type d'évaluation.
L'association des universités européennes
Au niveau européen, plusieurs institutions et organismes abordent la question de la qualité dans l'enseignement supérieur[2] : c'est notamment le cas de l'Association des universités européennes (l'AUE)[3] et du Réseau européen pour l'assurance de la qualité dans l'enseignement supérieur (ENQA)[4] .
Depuis 1999, l'AUE (le CRE jusqu'en 2001) gère le programme Internationalisation Quality Review (IQR) en partenariat avec le programme IMHE de l'OCDE, l'Association pour la coopération académique (ACA) et le Réseau international des organismes de promotion de la qualité en enseignement supérieur (RIOPQES/INQAAHE). Cette année l'AUE, avec le soutien financier de la Commission européenne, a lancé un important projet pilote dont le but est d'introduire et de développer une démarche d'assurance qualité dans les universités et ainsi de contribuer à l'accroissement de leur autonomie et de leur capacité à jouer un rôle au niveau européen et international.
Les langues dans le processus de Bologne
Les langues jouent un rôle essentiel dans la mise en œuvre du processus de Bologne. Il est donc de la responsabilité des universités européennes de s'assurer que leurs cursus de langues ou cursus intégrant des enseignements de langues répondent aux exigences en matière de qualité et que les diplômés soient capables de répondre aux besoins linguistiques du marché du travail international. C'est pourquoi elles doivent proposer à leurs étudiants la possibilité de développer leur connaissance des langues et de leurs compétences en communication interculturelle tout en formant des experts de haut niveau dans le domaine des langues, et notamment des traducteurs et des interprètes.
Le Portfolio européen des langues a été conçu et développé par le Conseil de l'Europe. L'un des aspects les plus importants de ce portfolio est la systématisation des échelles de compétences linguistiques à travers le Cadre commun européen de référence pour les langues. Les descripteurs utilisés dans l'échelle générale d'évaluation et les grilles d'auto-évaluation permettent non seulement aux enseignants et aux apprenants d'évaluer les niveaux atteints dans les différentes compétences linguistiques, mais fournissent en même temps une base d'élaboration de normes communes utilisables dans l'évaluation de la qualité dans le domaine de la formation en langues.[5]
La déclaration de Berlin
Le Conseil européen des langues a pris un certain nombre d'initiatives dans le domaine de l'évaluation et de l'amélioration de la qualité. Comme le savent les lecteurs du présent Bulletin, le CEL a organisé, en coopération avec la Freie Universität Berlin, l'un des principaux événements de l'Année européenne des langues 2001, à savoir la 3ème Conférence du CEL sur le Multilinguisme et les nouveaux environnements pédagogiques. La Conférence a notamment produit la Déclaration de Berlin[6] , qui appelle tous les acteurs du processus de Bologne, et notamment les universités, à coopérer pour développer les connaissances et les compétences multilingues et interculturelles en préalable à la création de l'Espace européen de l'enseignement supérieur. La Déclaration insiste particulièrement sur la nécessité d'améliorer la qualité :
L'enseignement et l'apprentissage des langues dans l'enseignement supérieur nécessitent la définition d'objectifs précis en matière d'utilisation des langues étrangères. Les objectifs doivent être ceux du Cadre commun de référence pour les langues du Conseil de l'Europe. Tout cursus ou module de langues doit comporter une évaluation de niveau et l'attribution de crédits, dans le but d'assurer la transparence et de favoriser les comparaisons entre les établissements et faciliter le transfert de crédits. Une telle évaluation permet d'accroître la motivation des apprenants et de fournir des informations fiables aux acteurs non universitaires, et notamment aux futurs employeurs.
Politique universitaire des langues
Lors de cette même Conférence, le CEL a également publié un document sur la politique linguistique intitulé Multilinguisme et nouveaux environnements pédagogiques.[7] La mise en œuvre des principes fondamentaux de la Déclaration de Berlin par les universités passe par la définition d'une politique linguistique, c'est à dire par la définition de leur mission, de leurs objectifs et de leurs stratégies dans le cadre de leur participation à la mise en place de l'Espace européen de l'enseignement supérieur multilingue et multiculturel. Un projet pilote a été lancé, au cours duquel un petit groupe d'universités européennes va élaborer des recommandations pour une politique universitaire des langues et la mettre en place dans leurs établissements respectifs, l'idée étant de favoriser un enrichissement et un apprentissage mutuel à travers ces échanges. Voir également le rapport du président au début de ce Bulletin.
Des projets tels que celui-ci contribueront indubitablement à l'avenir à l'amélioration de la qualité des programmes d'enseignement des langues, à condition que les résultats puissent être mesurés de façon adéquate à travers la mise en place des protocoles d'évaluation nécessaires.
Le Réseau thématique dans le domaine des langues
Tous les sous-projets de l'actuel Réseau thématique dans le domaine des langues (PRT2 2000-2003) ont pour point commun la question de l'évaluation qualitative. Au cours de l'année à venir, les trois sous-projets doivent mettre au point des descripteurs ou des critères d'évaluation dans leurs domaines respectifs, et l'un des objectifs du sous-projet sur l'amélioration de la qualité est de développer un cadre commun de référence pour l'évaluation et l'amélioration de la qualité. Les résultats du Réseau thématique pourront donc servir de point de départ pour la mise en place de procédures d'assurance qualité dans le domaine des langues. Les résultats des sous-projets du Réseau thématique seront présentés lors de la Conférence du CEL en 2003[8] sur le thème du Rôle des langues dans l'Espace européen de l'enseignement supérieur.
Processus d'accréditation des cursus de traduction et d'interprétation
Partant des recommandations élaborées au cours des douze derniers mois par un groupe de travail spécial, la Conférence Internationale d’Instituts Universitaires de Traducteurs et Interprètes (CIUTI) a décidé la mise en place d'une procédure d'accréditation pour les cursus de traduction et d'interprétation. Cette procédure sera la première au niveau international pour les formations en langues ou à forte composante linguistique et pourrait servir d'exemple pour le développement de procédures similaires dans le domaine des langues en général.
La logique qui sous-tend cette mise en place est encore une fois le processus de Bologne et le besoin impératif et permanent de procédures de contrôle de qualité dans ce domaine. Les champs professionnels de la traduction et de l'interprétation sont tels qu'une procédure d'accréditation fondée sur des critères de qualité internationaux s'impose, à côté des procédures d'habilitation ou autres procédures d'assurance qualité nationales[9] de façon à permettre aux établissements de démontrer le niveau de qualité de leurs formations sur le marché du travail international.
La procédure d'accréditation de la CIUTI se donne les objectifs suivants :
Le traducteur ou l'interprète qui a suivi une formation accréditée aura ainsi la garantie d'avoir acquis les connaissances et les savoir-faire indispensables dans son domaine professionnel, ce qui devrait favoriser une meilleure reconnaissance internationale des métiers de la traduction et de l'interprétation.
Les critères de qualité déjà définis seront complétés au cours de l'année à venir et classés selon les rubriques suivantes : normes nationales, mission, stratégie, gouvernance, portée des formations, ressources, formateurs, étudiants, services aux étudiants, développement personnel, cursus, recherche, dimension internationale, et relations avec les milieux professionnels et socio-économiques. L'un des défis posés par ce processus sera de rendre les critères mesurables afin qu'ils puissent servir de référence dans le processus d'accréditation.
La notion de projet et d'objectifs sera au cœur de la procédure d'accréditation : chaque institution candidate à l'accréditation devra définir ses objectifs en matière de formation à la traduction et à l'interprétation. Elle devra par exemple indiquer si elle vise à former des interprètes de conférences ou bien d'autres types d'interprètes, spécialisés par exemple en interprétation judiciaire ou en interprétation de service public. Cette définition est essentielle parce qu'elle détermine bien évidemment les contenus du cursus ou les conditions d'admission. En ce qui concerne les contenus des programmes de formation, l'accréditation sera centrée sur les résultats visés, les compétences professionnelles et personnelles développées et sur les niveaux de qualification. Puisque les formations en traduction et interprétation ne sont pas des cursus d'apprentissage des langues, et exigent au préalable une bonne connaissance des langues pratiquées, il est probable que la procédure d'accréditation concernera avant tout des formations de deuxième cycle selon la terminologie de Bologne (4ème et 5ème années d'études).
Accélérateur
Il est tout à fait étonnant de voir comment la Déclaration de Bologne a servi de déclencheur et d'accélérateur de toutes les énergies dans l'enseignement supérieur européen. Il n'est d'ailleurs pas du tout sûr que les ministres de l'éducation européens aient prévu l'ampleur du phénomène lorsqu'ils ont signé la Déclaration en 1999. Les universités, à travers l'Association des universités européennes (EUA), comme les organisations étudiantes regroupées dans l'ESIB, ont déclaré leur soutien à l'Espace européen de l'enseignement supérieur et ont affirmé que la qualité constitue l'un de leurs objectifs essentiels.
Pour la plupart des universitaires, les termes « Assurance qualité » et « évaluation » évoquaient encore naguère avant tout le monde de l'entreprise. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Celles et ceux qui veulent voir s'épanouir les universités dans le cadre de l'Espace européen de l'enseignement supérieur doivent relever le défi et mettre en œuvre des procédures d'assurance qualité dans leurs domaines respectifs. Le Conseil européen pour les langues doit clairement se fixer pour but le développement de la coopération avec et entre les universités et les autres associations et organisations européennes, pour réaliser les objectifs de la Déclaration de Bologne et contribuer au succès de l'étape décisive que constituera la réunion à Berlin, les 18 et 19 septembre 2003, des ministres de l'éducation, destinée à évaluer les progrès réalisés dans la mise en œuvre du processus de Bologne.
Notes
[1] Les documents principaux concernant le processus de Bologne sont disponibles à www.bologna-berlin2003.de
[2] Cet article ne nous permet pas d'aborder la question de la qualité dans les programmes d'Enseignement et de Formation de la Commission européenne, bien qu'elle soit au cœur de toutes ces activités.
[4] http://www.enqa.net/.
[5] Voir également le projet Piloting the European Language Portfolio (ELP) in the Higher Education Sector in Europe http://www.fu-berlin.de/elc/en/elpinten.html
[6] http://www.fu-berlin.de/elc/en/berldecl.html
[7] http://www.fu-berlin.de/elc/en/langpol.html
[8] Les 26-28 juin 2003 à la Handelshøjskolen i Århus, Århus, Danemark.
[9] Un exemple analogue est celui de l'accréditation EQUIS applicable aux formations en gestion des entreprises et management : voir http://www.efmd.be/
Bulletin d'information 8 du CEL - avril 2002