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Frank Jablonka (Beauvais)


Langage du corps et corps du langage dans l'œuvre d'Abdelkébir Khatibi. Analyse de sociosémiotique du contact


Body language and body of language in the oeuvre of Abdelkébir Khatibi
The principal interest in the Moroccan intellectual and novelist Abdelkébir Khatibi's oeuvre for a socio-semiotics of cultural contact lies in the language contact between Arabic and French from the viewpoint of the emergence of a "mystical" language. Khatibi’s work surpasses the poetic potential of language which becomes generally virulent in situations of language contact, and especially within French-Arabic contact. The poetic character is amplified to the extent that his "bi-langue" integrates paralogies characteristic of "apophatic" language; this function is salient in the texts of many religious scholars in the Christian and the Islamic world. Khatibi, influenced by Sufism, presents a mystical rebirth under the form of the emergence of an imaginary body which is symbolically constituted by linguistic effects, provoked by the bilingual contact. This "maieutic" function implies the concomitance of "coming to language" and bodily incarnation: The "crack in the world which runs through the poet’s heart" (H. Heine) is symbolically, and provisionally, healed by the renewal of the body in a contact situation by a new bodily subjectivity which "comes to the world" by language. The two complementary elements of this concomitance are represented in Khatibi: not only the mystical body is consubstantial with the linguistic – bilingual – imaginary; the body, expressing itself, impresses itself into the language. The linguistic character of the body and the bodily constitution of language become two aspects of one and the same reality. The "Plural Maghreb" turns out to be the matrix of a spiritual renewal, animated by the complexity of language and cultural contacts.


1 Abdelkébir Khatibi, professeur de sociologie à l'Université Mohamed V de Rabat, temporairement frappé d'interdiction d'enseignement sous Hassan II, à l'instar de nombreux intellectuels marocains jugés être facteur de déstabilisation idéologique, écrivain et essayiste d'expression française, décédé en mars 2009, nous a laissé une œuvre riche, littéraire aussi bien que théorique, où les réflexions par rapport aux faits de langue jouent un rôle prépondérant. Le principal intérêt que présente cette œuvre prolifique du point du vue d'une socio-sémiotique du contact culturel est l'interaction linguistique entre l'arabe et le français mise en œuvre aux fins de l'émergence d'un langage mystique.

L'écriture de Khatibi se prête à démontrer de manière quasiment exemplaire les enjeux postcoloniaux du complexe corps/langue (cf. Brossard / de Toro 2006: 64). Chebel (2004: 9) souligne, dans une visée complémentaire, la valeur symbolique et communicative du corps, liée à l'imaginaire et aux mythes. D'après cet auteur, dans la culture arabe, le "corps est une instance déterminante de l'organisation sociale ; il est 'phagocyté' dans les rites, traduit dans les actes les plus inconscients ou dans les schèmes absolus." Sans nier l'aspect physiologique, mais relégué à un degré d'importance secondaire, il s'agit principalement d'un "corps de langage, de croyances, de mythes beaucoup plus qu[e d]'un corps anatomique".



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1.1 Le potentiel poétique – "poïétique"1 – que recouvre le contact de langues en général, et franco-arabe en particulier, peut être analysé à partir de conceptions sémiologiques de Roman Jakobson (1963a, 1963b, 1973) et d'Umberto Eco (1984b) (cf. Jablonka 2001). En effet, le contact de langues et de cultures entraîne des phénomènes de changement exogène, phénomènes qui apparaissent dans l'œuvre littéraire de Khatibi, tant sur la forme que sur le fond, aussi bien comme objet discuté que comme personnage s'imposant, sous le titre de la "bi-langue": "La bi-langue ! Elle-même, un personnage de ce récit" (AB, 269). Dans l'œuvre de Khatibi se manifeste l'affinité entre le changement linguistique exogène, notamment déclenché par le contact franco-arabe, et la fonction poétique du langage. C'est ici que la puissance poétique inhérente au langage humain a toute sa place. Cette puissance se manifeste, certes, de façon prédominante dans le discours de la poésie, mais elle est ubiquitaire et constamment à l'œuvre dans toutes sortes de discours quotidiens ; elle n'est en aucun cas à confondre ni à identifier avec la poésie. D'après Roman Jakobson (1973: 485), on" n'est pas en droit de négliger la fonction poétique qui se trouve coprésente dans la parole de tout être humain dès sa première enfance et qui joue un rôle capital dans la structuration du discours." (Cf. aussi Jakobson 1963a: 30) Dans le modèle de Jakobson, la fonction poétique est en œuvre dans la mesure où la communication est centrée sur le code (en l'occurrence sur les codes): les transgressions systématiques mettent le(s) code(s) en crise, en déclenchent une transformation, et du même coup un élargissement. Dans les dynamiques de contact, ce sont en premier lieu les interférences, plus ou moins systématiques, qui disposent d'un potentiel poétique. Ceci est particulièrement le cas dans la francophonie postcoloniale: "La prédominance actuelle de l'écriture poétique chez les intellectuels autrefois colonisés, mais continuant à s'exprimer en français, vient en partie de cette ouverture […]. Le poétique, mieux que tout autre langage, permet de faire 'éclater' une langue qui fut imposée dans sa tradition. Mais, inversement, par attitude de refus, une structuration syntaxique inspirée de l'arabe dialectal, c'est de se condamner à être poète." (Delas / Fiollet 1973: 55)

1.2 Selon cette logique, les transgressions interférentielles qui résultent du contact linguistique et culturel remettent en question les codes (dans leur ensemble) en vigueur ; elles entraînent un élargissement de ces codes et, de ce fait, l'inauguration de nouveaux codes. Un nouveau code poétique ("poïétique") par excellence, dont l'émergence est déclenchée par la fonction poétique inhérente au langage en situation de contact, volontairement mis en œuvre et stylisé dans la création littéraire, est, dans l'œuvre de Khatibi, précisément la "bi-langue". En sciences du langage, le potentiel de créativité dans ce qu'on à pris l'habitude de désigner "parler bilingue" a été amplement analysé et discuté par Bernard Py et Georges Lüdi (Lüdi 1987, Lüdi 1995, Lüdi/Py 2003). Selon cette approche, le "parler bilingue" participe de l''action concertée' constructive qui fait émerger un nouvel univers de sens partagé, dans la mesure où deux 'mondes' liés aux langues-cultures ne coexistent pas simplement, mais se chevauchent et s'interpénètrent. Il s'agit d'un suprasystème cohérent, d'un tout original engendré par les effets de toutes sortes de marques transcodiques, dont le code-switching.



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En effet, selon la définition, assez convaincante et fiable, que Memmes (1994: 100) donne de la bi-langue, il s'agit d'une "sorte de troisième langue entre le français et l'arabe, le résultat de leurs rapports en abyme et de leurs confrontations dans le même être". Précisons que les techniques de traduction jouent également un rôle important dans ce processus: des structures (syntaxiques, sémantiques, phonologiques, discursives…) d'une langue sont transposées à l'autre ; on parle dans une langue comme on parle(rait) dans l'autre (cf. Stehl 1992, 1994). Le complexe traductologique est en effet central dans l'œuvre de Khatibi, et il révèle sa vision de la littérature maghrébine dans l'ensemble: "Et, en effet, toute cette littérature maghrébine dite d'expression française est un récit de traduction. […] il s'agit d'un récit qui parle en langues." (MP, 186) Cette idée rejoint le concept de traduttività de T. De Mauro (1999: 89–91), qui désigne l'activité nécessaire et permanente de traduire non seulement d'une langue vers une autre, non seulement d'une variété linguistique vers une autre, mais même d'un code vers un autre code d'un tout autre type, d'un ordre complètement différent (par exemple la transposition d'images en paroles ou en musique). Ce principe est sans doute aussi à l'œuvre dans le symbolisme linguistico-corporel ("syntaxe du corps", AB, 215) qui est au centre de l'intérêt dans le présent article.

2 Au même titre que la fonction poétique du langage n'a pas besoin de contact linguistique pour être déclenchée, il est clair que les processus en œuvre dans l'émergence de la "bi-langue" existent même hors contact, et notamment dans l'œuvre de Khatibi. En termes wittgensteiniennes (cf. Wittgenstein 1986), il s'agit des cas où la langue "fait la fête" (Investigations philosophiques, §38), c'est-à-dire où elle 'décolle' du champ empirique spatio-temporel. Cette perte de contact avec le sol du monde sensible est, selon Wittgenstein, certes, d'une part pathologique, mais elle est d'autre part également la base des acquis esthétiques (culturels, artistiques) et religieux. Notamment la religion et l'expression mystique seraient le fruit de la tentative de dire l'indicible ; ce qui est vraiment d'importance pour l'homme et ce qui donne un sens à son existence empirique – Dieu – se situe en-dehors de cette existence empirique – hors du monde (Tractatus logico-philosophicus, §§ 6.4–7). Ce caractère transcendantal de la quête – logiquement illicite, vitalement nécessaire, culturellement fructueuse – de dépasser les limites du dicible est d'après Sells (1994) la base du "langage apophatique". Le langage apophatique, dont la fonction paradoxale est précisément de conceptualiser ce qui échappe à toute conceptualisation rationnelle, est le point culminant de cette tentative, point atteint dans toutes les grandes œuvres des traditions mystiques notamment monothéistes, tant chrétiennes qu'arabo-musulmanes, comme c'est le cas notamment dans l'œuvre d'Al Hallaj. Son énoncé "Ma vie est dans ma mort et ma mort est dans ma vie" (cf. Al Hallaj 2008: 9) est exemplaire à cet égard. Les réminiscences relatives à ce mystique soufi, qui a influencé Khatibi de manière décisive, sont nombreuses dans les textes khatibiens. En-dehors du monothéisme, cette même structure est également repérable dans la tradition chinoise, notamment dans le Tao tô-king, qui a servi de matrice inspiratrice à LCMT (ainsi que, dans une moindre mesure, à LdS). Sells (1994: 4) cite à ce titre un énoncé clef qui présente la structure typiquement paradoxale, qui déclenche un décollage du sens:2 "Le tao qui peut être dit n'est pas le tao." Dans le même registre, Khatibi (MP, 62) s'intéresse au "mouvement vertigineux de l'impossible (l'affollement de toute pensée et de toute raison) [qui] est encore une question de langage." Khatibi, lui, nourrit ce même affollement célébratif.




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Son affirmation "C'est le renversement de la parole de pouvoir en pouvoir de parole" (MP, 63) est soumis à la même structure paradoxale chiastique hallajienne, et, en effet, la tonalité du texte khatibien, dans son intention tout-à-fait inspiré d'une volonté d'engagement critique sur un arrière-plan marxiste – semble suggérer de lire le mot "parole" comme synonyme de "Verbe". Nous identifions dans l'écriture de Khatibi le souffle du déconstructivisme de Derrida – Jacques Derrida, en effet.3 Or, nous savons que ce philosophe est influencé par la tradition judéo-kabbalistique. Il est propre de la kabbala de chercher à atteindre l'infinité de Dieu, et Eco ha raison de parler dans sa discussion de la philosophie du langage contemporaine et en référence au déconstructivisme derridien, ainsi que par rapport à sa propre conception de la sémiosis infinie, de "dérive kabbalistique".4 Dans le même sens, les préoccupations de Khatibi tournent autour de la" dérive" (MT, 54), l' "errance" (AB, 212) ou la "permutation permanente" (AB, 219). Le lien avec la fonction apophatique de la langue est clairement identifiable dans l'absence d'un concept de sens communicable chez les kabbalistes (Eco 1984a: 231), sens qui échappe, qui recule inévitablement dans la mesure où l'on essaie de se rapprocher conceptuellement de la divinité, ce qui donne lieu à une "infinie dérive" (ibid.). On voit clairement que Khatibi identifie ce principe comme étant à l'origine de sa propre création littéraire, principe créateur qui est en même temps la source de sa propre invention d'auteur dans le processus poïétique de l'écriture: "Je corrige, je rature, je tergiverse, toujours à la quête de l'imprévu en moi, et en l'autre. […] je suis condamné à m'inventer mon idiome et mon style" (JDEE, 15) ; "chaque œuvre est en elle-même une frontière, un passage et un obstacle entre les langues, un lieu de réincarnation, […] de telle sorte que cette langue que nous écrivons […] soit disponible à une traduction infinie." (JDEE, 52)

2.1 Or, même si cette fonction poétique, conjointement avec les effets paradoxaux et d'autres paralogies, 'begins at home', en situation monolingue, ceux-ci sont provoqués et deviennent virulents en situation de contact complexe de codes linguistiques et culturels. Certes, le dialogisme, respectivement polylogisme, est ubiquitaire, comme le souligne Todorov (1985: 11 s.): il n'y a "pas de sujet dont le discours ne soit pluriel, comme il n'existe pas de discours qui ne fasse entendre qu'une seule voix" car le "sujet fait toujours entendre […] plusieurs voix […] plusieurs registres verbaux simultanément." L'unité est latente dans la multiplicité, la multiplicité cache le lien qui unit – sauf que sur le plan langagier, la problématique connaît une amplification en situation de contact linguistique pluriel. Khatibi, lui, a très bien reconnu cette problématique,5 et il fait preuve de cette prise de conscience dans des énoncés poétiques structurés selon les principes paralogiques du langage apophatique (LCMT, 62, § 35): "l'un et le multiple touchent au vide" (cf. discussion dans section 2.2.3).




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2.2 A un niveau plus subtil, le déclenchement de la fonction poétique par le contact se manifeste également dans LdS. Ici, nous assistons à une réorganisation au niveau textuel, dans la mesure où les normes du discours relevant de la mystique arabo-musulmane6 subissent une déconstruction par la transposition dans une langue véhiculant la modernité occidentale, en l'occurrence principalement le français. La déconstruction de la tradition arabo-islamique du soufisme lors du passage à la littérature maghrébine d'expression française remet la question de la "langue parfaite" à l'ordre du jour, question que l'Europe chrétienne partage avec l'Orient et qui conteste la réponse donnée par la tradition orientale en faveur de l'arabe classique: "L'utopia di una lingua perfetta non ha ossessionato solo la cultura europea. Il tema della confusione delle lingue, e il tentativo di porvi rimedio grazie al ritrovamento o all'invenzione di una lingua comune a tutto il genere umano, attraversa la storia di tutte le culture" (Eco 1993: 6). La virulence du caractère purement provisoire et historiquement contingent, et le dénuement de tout fondement théologique d'un éventuel privilège ontologique de l'arabe classique, variété linguistique considérée comme sacrée, deviennent manifestes sous l'impulsion du contact. En effet, Eco (1993: 178 s.) met à nu cette contingence en toute clarté:

La divisione successiva [delle lingue] (che peraltro già il Corano vedeva come evento naturale e non come maledizione […], non è stata provocata dall'invenzione di nuove lingue, ma dalla frammentazione di quell'unica che esisteva ab initio, e in cui tutte le altre erano già contenute. Per questo tutti gli uomini sono capaci di comprendere la rivelazione coranica, in qualsiasi lingua sia espressa. Dio ha fatto discendere il Corano in arabo solo per farlo comprendere al suo popolo, e non perché questa lingua godesse di un particolare privilegio.

C'est ainsi l'écho de cette fracture initiale et atavique qui résonne ; c'est cette fracture qui se rouvre lors du contact avec la langue et la culture françaises et qui donne naissance à l'écriture francophone du Maghreb. En effet, comme le souligne Khatibi lui-même, la "recherche de la langue idéale" ne se satisfait plus de l'arabe coranique comme langue de l'ultime révélation divine: "Cette langue est marque du passé, et ce qui s'est maintenu, c'est bien la théologie […] comme science impossible d'un dieu invisible", théologie qui "travaille encore selon l'idée d'une langue unique, sacrée, miraculeuse, et incapable de parler en langues." (MP, 59) Ahnouch (2004: 123) précise que la "langue arabe a tendance à revenir dans les romans […] comme langue désacralisée. Le travail de subversion du langage coranique par un autre langage érotique, mystique ou lyrique témoigne de cette volonté" ; "les procédés narratifs […] permettent […] d'exprimer des thèmes redoutables par la doxa, […] des manifestations du corps et des 'signes occultes' […]. Implicitement présente […], la langue arabe travaille le texte français en envoyant un univers de signes, de sèmes et de symboles qui sont totalement étrangers à l'univers mental français", comme la "circoncision, le bain maure, le tatouage, la calligraphie et les anciennes structures de l'imaginaire maghrébin." Selon cette lecture, tout-à-fait pertinente, l'auteur met en œuvre des "signes […] subversifs par la doxa pour entamer sa propre critique" (Ahnouch 2004: 128).




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2.2.1 Du fait du language shift vers le français, l'arabe classique est dérobé de son aura sacrée qui lui est, de manière historiquement contingente, conférée par la tradition culturelle, pour donner lieu à un langage français de matrice cognitivo-culturelle arabo-musulmane où l'aura sublime est convertie en expression érotique tant sexuelle que spirituelle7 – ou plus précisément: spiritualisée par voie sexuelle. Ce phénomène est particulièrement visible dans l'arabisme fitna (AB, 214), relatif à la poésie préislamique, pour 'séduction', mais aussi 'guerre'– "la double épreuve de séduction et sédition" (Ahnouch 2004: 79 ; pour plus de détails cf. Buci-Glucksmann 1987, ainsi que Memmes 1994: 116), mais qui dépasse la pure attraction charnelle pour acquérir une dimension spirituelle entre les deux amants de langue différente, l'étrangère (et son corps) étant elle-même identifiée avec la bi-langue. Cette relation physico-spirituelle dans AB rappelle l'interaction avec la prostituée sacrée Muthna (LdS), qui office dans le cadre du culte initiatique auprès de la confrérie des Inconsolés.

Dans AB, nous assistons, il est vrai, à une sensualisation, à une érotisation et à une sexualisation de la langue en contact, en l'occurrence dans un univers "bi-langue": en contact tant de langue que de corps. En réalité, ces deux types de contact sont concomitants: nous constatons, en effet, une transformation de l'écriture comme corps et du corps comme écriture – corpus textuel: "Aimer un être, c'est aimer son corps et sa langue. Et il voulait, non pas épouser la langue elle-même (il en était un avorton), mais sceller définitivement toute rencontre dans la volupté de la langue." (AB, 221) Dans LdS (136), le broyage mystique du corps du disciple lors de la cérémonie coïtale initiatique correspond à la décomposition des différentes langues et traditions textuelles en contact, broyage auquel succède la configuration de nouvelles entités corps-textuelles, texte-corporelles: "De cette désolation, tu pensais créer une belle œuvre mystique. Tu t'étais mis en marche. Toujours en marche AU BORD DE TA TOMBE. Oui, Muthna, broie-le jusqu'à le meurtrier, enfonce-le pour ensuite le briser – le trancher. A travers un tel deuil de la chair, le Disciple sera enseveli – vivant. Mort vivant, je serai sacrifié à la loi de l'Irrémédiable qui, de ma tombe, m'enfantera dans le Poème décisif." Ces exemples mettent en évidence le fonctionnement de la poétique du contact linguistique, qui provoque un élargissement codique, étendant ainsi le champ du dicible. La pureté de la sagesse religieuse se révèle désormais dans un ensemble codique, pour ainsi dire, "impur": mixte, hétérogène, interlectal.8

2.2.2 Le véritable enjeu dépasse sans aucun doute de loin la pure accessibilité de la tradition soufie dans un code qui donne une ouverture sur la modernité. Memmes (1994: 129) souligne à juste titre la déconstruction négative de la mystique islamique dans LdS: l'expérience du disciple "reprend, à rebours, celle de la quête des mystiques. Si, pour ces derniers, l'accès à une vie supérieure consiste dans le dépassement de la multiplicité et de l'anéantissement dans l'Unité, pour lui, elle réside dans l'idée de 'mort' de la notion de l'unité et la fusion-anéantissement dans celle de la multiplicité, représentée par la pensée – autre issue de la bi-langue et de la pluri-langue." En réalité, l'exploitation de la vocation mystique de la bi-/plurilangue est ici à l'origine d'une sorte d'"anti-soufisme", qui ne recherche non pas l'unité en Dieu (tawħid), mais une sorte d''uni-pluralité' hétéroclite qui, selon le principe de la coïncidentia oppositorum, fait émerger un nouveau tout. Si l'unité de l'âme (ou généralement de l'esprit) présuppose l'unité du langage, cet idéal n'est, même en situation monolingue, plus autrement concevable que comme unité paradoxale (cf. sur ce point aussi Todorov 1985: 79).9




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Cette perspective déconstructive ouvre de nouveaux horizons de sens en renouant, certes, avec des traditions culturelles de longue date, mais en les dépassant par l'œuvre de la fonction poïétique dans le contact. Il est à cet égard central de prendre en considération la réception d'un autre maître soufi par Khatibi: d'Ibn 'Arabî (dit "le Sceau des Saints", c'est-à-dire l'archétype de la sainteté léguée par le Prophète Mohamed, Al-Cheikh al-akbar).10 Si LdS puise, certes, dans la tradition apophatique et dans l'esprit contestataire hallajiens ; nous sommes, de toute évidence, dans ce texte en présence de l'émergence d'une sorte de "corps mystique" dédoublée, à l'instar du spiritualisme d'Ibn 'Arabî. Cette idée du dédoublement du corps en conférant à l'âme une sorte de para-matérialisation invisible a une longue histoire dans les traditions hermétiques tant orientales qu'occidentales. Les anthroposophes, eux, parlent, à cet égard, du "corps astral".11 Dans la tradition musulmane, ce principe est présenté par Ibn 'Arabî dans les Illuminations de la Mecque (Al-Futûhât al-Makkiya ). Comme l'analyse Memmes (1994: 50), le principe de la recherche de Dieu par une méthode systématique d'union intime (unio mystica dans la tradition européenne, tawħid dans la tradition arabe), but visée de toute expérience mystique, est réalisé dans ce texte de façon exemplaire. Cette union avec Dieu va de pair avec l'extinction du moi dans l'Essence (fanâ 'néant'). Cet anéantissement de l'identité individuelle ouvre la voie vers la substitution d'un 'je' quasiment divinisé au moi empirico-social.12 C'est, en effet, dans ce sens que la formule hallajienne citée ci-dessus (cf. section 2) doit être interprétée: C'est dans la mort (c'est-à-dire l'anéantissement mystique) que réside le véritable Être. Ce stade du fanâ recherché par les soufis serait préfiguré par l'expérience du Prophète Mohammed lors de la "Nuit de l'Ascension" (Laylat al-Mi'raj), au cours de laquelle le Prophète aurait été transporté, par voie 'astrale', de la Mecque à Jérusalem. Ce voyage mystique revient à une 'décréation', une 'réabsorption': "le corps dans l'âme […], l'âme dans l'Esprit, et l'Esprit dans la présence divine" (Memmes: 1994: 51). Le voyage mystique du soufi (tariqa), qui vise la récréation en tant qu'être transfiguré dans une vie supérieure après la 'décréation' dans la mort mystique, s'inspire du dédoublement du Prophète lors du Mi'raj, qui repose sur le principe de la bilocation, comme c'est généralement le cas dans la conception du corps astral.13 C'est précisément ce dédoublement bilocationnel qui a lieu de manière prototypique pour la quête soufie dans l'expérience akbarienne lors du séjour du "Sceau des Saints" à la Mecque. La clef de la compréhension de cette expérience correspond à "l'Eros mystique", car c'est sous une forme (auto-)érotique, quasiment narcissique14 que l'unio mystica (tawħid) a lieu. En effet, lors des circumambulations rituelles autour de la Ka'aba, il a la vision d'un beau jeune homme qui lui révèle son identité dans un langage symbolique: "Alors […] je compris. La réalité de sa beauté se dévoila à moi, et je fus éperdu d'amour. Je défaillis, et à l'instant il s'empara de moi. Lorsque je revins de mon évanouissement et que j'étais encore tremblant de crainte, il savait que j'avais compris qui il était". Ce jeune homme lui révèle: "mon savoir ne s'étend qu'à moi-même, et mon essence (ma personne) n'est autre que mes Noms. Je suis le connaissant, le Connu et le Connaissant. Je suis la Sagesse, l'œuvre de Sagesse et le Sage" (cité d'après Memmes 1994: 51 s.). Ce jeune homme qui lui apparaît représente, d'après Henry Corbin, "l'essence divine invisible", l'"Alter Ego divin" du mystique, le "pôle céleste" de son être dont le moi présent et empirique n'est que le "pôle terrestre" (cité d'après Memmes 1994: 92). Ce double sacré qui apparaît lors de l'expérience mystique figure chez Rumî, mais aussi chez de nombreux autres mystiques, comme le "Jésus" qu'il s'agit de dégager en soi-même lors de la tariqa,15 la voie mystique, dont la cyclicité (ra)mène le sujet à sa propre identité suprême, à sa vérité suprême, qui est en même temps l'essence de la Vérité transcendantale:16 "Ana al-ħaqq – Je suis La Vérité", selon Al Hallaj au moment de sa mort sur la croix (cf. Memmes 1994: 50 ; généralement pour tout le complexe de la mystique hallajienne cf. Massignon 1994).




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Ce qui est crucial dans ce complexe de renaissance dédoublée, c'est que le corps spirituel est d'ordre linguistique, ou généralement symbolique. En effet, le jeune homme qui lui apparaît parle à Ibn 'Arabî dans un langage symbolique (cf. citation ci-dessus). De même, pour Massignon (1994), Al Hallaj peut être considéré comme "witness of bodily resurrection through the Word" – car "the Word" – le Verbe, précisément, celui de La Vérité suprême et transcendantale, en l'occurrence al-ħaqq – s'impose, l'emporte à la mort, couronne cette mort face à laquelle il a été proféré et dans laquelle réside la Vie dans un sens emphatique. Gaertner (2002: 145) souligne l'imbrication de corporalité et de textualité comme thème constant chez Khatibi, et elle peut affirmer que "the body is a carrier of graphic symbols." En effet, à l'ouverture du chapitre "Le corps et les mots" (MT, 53), le narrateur relate: "J'ai rêvé, l'autre nuit, que mon corps était des mots". Le langage – symbolique – est l'intermédiaire entre le logos et le corps. Le sémantisme de logos (λόγος) comprend tant la parole que l'esprit dont la première est porteuse. C'est donc grâce au langage que ce corps spirituel, ce corps astral peut émerger comme langage incorporé: un langage qui prend corps pour devenir corps tissé (textus) de langage – text corpus: corps astral – text cosmos.17

2.2.3 C'est précisément ce corps du logos, ce corps constitué linguistiquement que nous retrouvons dans l'œuvre de Khatibi. C'est le double épuré qui prend corps dans la bi-langue, bi-langue qui est à l'œuvre également, au niveau de la déconstruction de normes discursives par le passage de l'arabe au français. Mais il est certain que ce corps dédoublé émergeant n'est pas, n'est plus celui du mystique musulman selon la conception traditionnelle. Chez Khatibi, "la différence entre le sacré et le profane n'est jamais décisive" (Ahnouch 2004: 95, ici à propos de LdS) ; le sacré et le poétique ne sont, pour Khatibi, pas d'entités étanches, au contraire. Nous sommes en présence d'une déconstruction du corps spirituel soufi. Ce n'est plus le Mi'raj du Prophète Mohamed, où c'est seulement la réminiscence intertextuelle, qui préfigure la tariqa de la quête spirituelle. Le modèle du double corps émergent devient celui de l'artiste et de l'intellectuel engagé qui prend sa place dans la société civile moderne.




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Cette déconstruction fondamentale est à l'œuvre dès le premier roman, autobiographique, de Khatibi, MT. Déjà dans ce premier grand récit littéraire khatibien, le lecteur attentif peut apercevoir un écho lointain de la spiritualité soufie. Pour reprendre des éléments de la métaphorique de ce roman: Les tatouages gravés sur la peau de la mémoire sont relus, recomposés, réécrits. La peau de la mémoire est de ce fait rouverte au même titre que l'horizon de sens et des attentes nourries par la codification traditionnelle. Sloterdijk (1988: 17), en modifiant un célèbre dicton freudien, réclame dans ce sens: "Où fut le tatouage, doit devenir l'art." Ou bien: "Où fut la marque, doit devenir le langage." Khatibi n'aurait sans doute pas contesté notre traduction de cette formule en termes derridiens (Limited Inc): La marque entraîne la re-marque (cf. Derrida 1990: 100). A l'instar d'un palimpseste (cf. MP, 202, 207), le signe est re-signé et, de ce fait, dé-signé.18 Le tatouage de la mémoire doit devenir fluide, être liquidé, pour devenir un texte linéaire, puis un tissu littéraire incorporé de l'intellectuel critique qui intervient sur le champ social. Cette formule résume assez fidèlement le principe qui régit l'écriture de Khatibi.

C'est dans ce sens que Khatibi esquisse sa quête d'une "pensée-autre", conçue comme "pensée en langues" (MP, 60–61 et passim), c'est-à-dire comme une "mondialisation traduisante des codes, des systèmes et des constellations de signes" (MP, 59). Il apparaît, au contraire, que l'enjeu est aussi un ressourcement de l'islam par le contact postcolonial avec des codes véhiculant l'époque moderne, à la lumière des enjeux émancipatoires de la situation historique actuelle. Il est utile de rappeler que les préoccupations intellectuelles de Khatibi s'inspiraient, à cet égard, également du marxisme (MT, 79 ; MP, 15 s. et passim), et c'est dans cette conjonction de tradition spirituelle orientale et pensée politique critique européenne que réside le plus grand intérêt de la pensée khatibienne pour les défis que nous lance la situation actuelle de mondialisation. Gaertner (2002: 164) rappelle à ce titre la particularité des pratiques marxistes au Maroc, indissociables de l'islam. En effet, la question pour l'intellectuel arabe, francophone et musulman Khatibi, était de savoir avec quelles traditions spirituelles orientales, et notamment islamiques renouer pour leur (re)donner un élan émancipateur dans une visée marxiste. Pour ce faire, Khatibi applique de manière créative un hadith qui conseille d'aller, si besoin est, jusqu'en Chine pour trouver la sagesse de la foi.19 Et c'est, en effet, dans LCMT, avec le croisement, l'enlacement de plusieurs codes culturels et langagiers, en l'occurrence chinois, français, mais aussi arabes, qu'une tentative de réponse semble pouvoir être donnée. Peut-être que taoïsme rime avec maoïsme. En effet, déjà dans sa discussion du roman Talismano d'Abdelwahab Meddeb (1978) (dans MP, 191 et passim) transparaît la quête de l'auteur d'un renouveau par le 'détour royal' spirituel du taoïsme, renouveau qui prendra une forme marxiste plus tangible dans LCMT. Mutti (2005) met en relief le fait que "la pensée de Mao diffère de la pensée marxiste au moment où, se plaçant sous la tutelle de la tradition taoïste, elle décrit le caractère complémentaire des adversaires: 'Sans le haut, il n'y a pas de bas ; sans le bas, il n'y a pas de haut'". Cette logique fondamentale de complémentarité, qui culmine dans le principe de yin et yang,20 est, en effet, le principe directeur qui diffère de la dialectique marxiste européenne,21 et que Khatibi, de son côté, parvient, du même coup, à (ré)intégrer22 dans la tradition arabo-musulmane par le biais de la littérature maghrébine d'expression française. Car c'est dans la même lignée que le langage apophatique taoïste, que ce discours à structure paradoxale, où les parallèles se croisent dans l'infini tout-à-fait présent d'un cosmos textuel courbé, ressurgit: il est ressuscité au Maroc, en français, comme si c'était le Tao-tô king qui fêtait sa résurrection sous la plume d'un Lao-Tseu maghrébin francophone (LCMT, 62, § 35):




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identité différence deux mots pour nommer le même nœud
dénouer ces mots c'est tracer une spirale
tracer en son corps une spirale élastique
c'est se mouvoir dans l'exil
s'exiler sauvagement à l'autre
c'est s'ouvrir à la différence sans retour
l'un et le multiple touchent au vide

Notons que dans cette spirale, le langage et le corps apparaissent de nouveau enlacés, imbriqués. Or, ce langage, et du même coup le corps, se révèlent être ceux du lutteur de classe, en l'occurrence de l'intellectuel arabe engagé, organique, qui se ressource dans le langage de sa classe, mais pour l'ennoblir, l'élever à un niveau culturel opérationnel à la hauteur de l'enjeu. Il ne s'agit certainement pas du modèle de l'arabe classique, mais de l'arabe dialectal, langue parlée de sa mère, première langue de l'auteur qui, en tant qu'arabophone dialectal natif, porte le langage-mère en lui, mais aussi le langage du père, non maternel, engrossé lui-même, ce qui fait que l'écrivain est engrossé à son tour (cf. Memmes 1994: 130), pour accoucher par la maïeutique bi-/pluri-langue de lui-même, de l'intellectuel engagé arabe d'expressions françaises (au pluriel),23 d'expressions variées et variables, mais, précisément, en tant que tel, organique à sa classe. Nous entendons dans ces vers le souffle de Gramsci et de sa conception du langage de classe vis-à-vis de la langue-classe hégémonique, ainsi que de l'intellectuel comme courroie de transmission dans lequel ce langage (avec son potentiel contre-hégémonique) prend corps: 24

langage d'or langage de classe
tel est mon premier adage
savoir plus est un pouvoir de classe
tel est mon deuxième adage (LCMM, 57, § 31)

2.2.4 La poésie khatibienne s'avère ainsi, à l'instar de sa prose, le lieu de la poïesis, de la création d'un ensemble de pensée et de pratique émancipateur adapté à la situation sociohistorique à cheval entre le 20ème et le 21ème siècles dans le Maghreb. La polyphonie de cette tentative de réponse est tout-à-fait manifeste, et elle est donnée dans une bi-langue qui se dépasse en transcendant le langage lui-même, en l'occurrence dans une "pluri-langue" poïétique.

Il me semble en effet que le véritable enjeu est cette image de "lutteur de classe" au sens d'un 'mujahid intégré' pour qui le "petit jihad" (la quête de la foi) et le "grand jihad" (le conflit, la controverse sur l'échiquier politique) sont un seul processus indissociable. C'est cette identité qui semble (vouloir) prendre corps, un corps imaginaire, par la deuxième naissance symbolique, telle qu'elle apparaît, de manière déconstruite, notamment dans LdS, mais aussi dans d'autres textes, ressuscitement à travers le logos de l'ensemble langagier pluriel. Dans AB (208), le narrateur, enfant adoptif de la L1 (première naissance) se voit graduellement intégré dans son état d'être bilingue, enfanté par la (bi-)langue (deuxième naissance): "N'avais-je pas grandi, dans ma langue maternelle, comme un enfant adoptif ? D'adoption en adoption, je croyais naître de la langue même".




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Si Khatibi (JDEE, 19) discute l'affirmation heideggerienne selon laquelle le langage est "la demeure de l'être", il convient de rappeler la valeur d'utérus qui revient à la demeure, à la maison dans la psychanalyse. Si nous sommes en présence de la résurrection symbolique du corps, il s'agit de la naissance ex uterum de la chair de langue – chair langagière à créer, à procréer par une voie poétique (poïesis) de transsubstantiation.25 Dans la même visée, Peter Sloterdijk (1988), qui discute la maïeutique socratique dans différents contextes, met l'accent sur la concomitance du fait de" venir à la langue", ou peut-être plutôt de "venir au langage", et de celui de "venir au corps". En effet, H. Heine avait déjà trouvé que la déchirure du monde traverse le cœur du poète.26 Cette déchirure s'élargit lorsque le fossé qui sépare les langues-cultures, pourtant en contact de longue date, apparaît infranchissable. Ainsi, l'écrivain, en prise de cet abyme, ressemble à "celui à qui les dieux sauvages ont tranché le cœur" (LdS, 79), et c'est également la bi-langue qui exige "une partie de mon âme divisée" (AB, 248). Mais c'est surtout dans MT que le déchirement s'aggrave et prend les proportions d'une fragmentation psycholinguistique au sein de tout son être, opérée par le contact franco-arabe, déchirure fragmentaire qui fait partie des tatouages au fond de l'âme qu'il s'agit de déchiffrer, de se re-présenter, pour faire émerger la re-marque littéraire là où il n'y avait jusque là que la "marque" sans phrase (cf. Sloterdijk 1988: 13). Cette déchirure du cœur du poète (auteur de la poïesis), qui représente le corps linguistique du cosmos textuel trouve sa réparation, symbolique et provisoire, par un renouveau du corps ressourcé dans le contact, par une nouvelle subjectivité corporelle qui "vient au monde" par l'ensemble langagier pluriel et polyphone.

3 Insistons, cependant, sur la complémentarité des deux aspects de la relation corps/langage dans l'œuvre de Khatibi: non seulement le corps "mystique" déconstruit est empreint d'imaginaire ("bi/pluri")-langagier, mais c'est aussi la corporalité qui, en s'exprimant, s'imprime dans le langage. Fatima Ahnouch (2004: 217) parle, à cet égard, de la notion de "corps-texte" dans sa bilatéralité. "Le corps est avant tout un espace écrit, et par conséquent, un texte qui s'offre à la lecture et au déchiffrement dans le sens où il est à la fois récepteur (réceptacle) et émetteur de signes culturels." Le texte s'avère ainsi "une sorte de corps écrit". Le prototype de cette relation serait l'inspiration coranique à travers la poitrine, et par extension par l'ensemble des fibres corporelles du Prophète.27 Pour le linguiste et le sémioticien, le corps figure ainsi sous sa forme la plus originaire, à savoir de corpus. Si Fatima Ahnouch souligne par rapport à l'œuvre de Khatibi le caractère de lisibilité symbolique du corps dans la culture maghrébine, c'est Umberto Eco (1984a: 54) qui lui donne raison, en constatant que l'homme est un signe.

Le caractère linguistique du corps et la corporalité du langage sont ainsi deux faces d'une même médaille. Le "Maghreb pluriel" s'avère la matrice d'un ressourcement spirituel nourri par la complexité des contacts de langues et de cultures, et dans le croisement polylogique et multidialogique de codes culturels et langagiers du monde arabo-musulman avec ceux de la modernité occidentale et européenne (en l'occurrence français) aussi bien qu'extrême-orientaux, représentés, en respectant la recommandation sunnite, par le taoïsme chinois.




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LCMT: Le lutteur de classe à la manière taoïste. Paris: Sindbad, 1976.

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Œuvres de Abdelkébir Khatibi. Vol.I: Romans et récits. Paris: Éd. de la Différence, 2008.




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Notes

1 Les termes poésie et poétique sont dérivés de la notion d'origine grecque de poïesis 'création' (du verbe ποιέω 'faire'); c'est afin de rendre cette motivation étymologique plus transparente que nous utilisons volontiers le néologisme poïétique (cf. déjà Jablonka 2001).

2 Généralement pour le rôle de la structure paradoxale, qui fait la logique 'sortir de ses gonds', dans l'évanouissement des sens et du décollage du sens de la logique empirique et de l'entendement quotidien cf. Jablonka (1998a), notamment partie I.

3 Les convergences entre le déconstructivisme derridien et le soufisme, notamment akbarien, ne rélèvent nullement du hasard et connaissent une certaine systématicité. Cf. l'étude approfondie d'Almond (2004), qui met également en évidence les affinités avec le taoïsme (ainsi qu'avec la pensée kabbaliste juive).

4 Cf. le chapitre "Ermeneutica, decostruzione, deriva" (Eco 1984b: 229–234). La référence à Peirce, que Derrida et Eco partagent, y est sans doute pour quelque chose. Pour l'influence kabbalistique dans la philosophie de Jacques Derrida cf. également Almond (2004: 50). Dans le même ouvrage (66 ss.), Almond expose très clairement les affinités entre la philosophie déconstructive de Derrida, la kabbala et la philosophie d'ibn 'Arabi par rapport au sens qui recule, de façon "disséminaire", à l'infini, ce qui rend la construction du sens à jamais inexhaustive, divinatoire et plurielle.

5 Cf. JDEE (52), ainsi que la discussion par rapport à l'ouvrage Le monolinguisme de l'autre de Derrida (2006) (JDEE, 53 s.).

6 Le modèle formel qui fait foi, mais ici sous forme déconstruite, est celui de l'ode mystique surtout arabe, mais aussi chinoise (inspirée du taoïsme), textes qui baignent dans la mythologie, cf. Ahnouch (2004: 238, 276 et passim).

7 "Cette langue […] à caractère sacré est porteur [sic] d'une médiation sur l'au-delà sans attaches terrestres auquel aspirent les mystiques et qu'ils appellent l'Absolu: 'le langage amoureux comme celui de l'ivresse dans la poésie arabe peut donc aussi bien illustrer la sensibilité érotique qu'être l'expression symbolique d'une recherche intérieure qui voudrait atteindre l'unité au-delà de toutes les formes de dualisme y compris celui du masculin-féminin'" (Ahnouch 2004: 96).

8 Selon Brossard/de Toro (2006: 71), qui opèrent une analyse plus détaillée de la transformation entre pure et impur dans l'écriture de Khatibi, celle-ci "illustre l'hybridité en principe de l'être, du corps et de la langue". Khatibi lui-même (MP, 194) évoque une certaine tendance à la "pidginisation" lorsqu'il attire l'attention sur des néologismes qui sont des interférences figées (emprunts lexicaux): médiner, en-khol-er.




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9 C'est exactement ce point qui est soulevé dans la discussion (transcription dans le même volume, 80) dans une perspective uni-plurielle. Jacques Hassoun: "Le tour de force des mystiques est d'instituer ce Un incomptable, qui n'est pas un chiffre, et de le doter de 99 attributs". Abdelwahab Meddeb: "Dans la croyance de l'un, il y a la brouille de l'Un." Sur l'"Unicité de la multiplicité", "l'unité exclusive de toute pluralité" et l'"unitude" comme "unité inclusive, qui implique une différenciation interne" dans la théologie akbarienne cf. Addas (1996: 94). La structure apophatique de tous ces énoncés est saillante.

10 Généralement pour le mysticisme d'Ibn 'Arabî cf. Addas (1996).

11 Terme qui remonte, d'ailleurs, à Paracelse, mais dont les racines peuvent être retracées jusqu'à l'antiquité. Pour ce terme, cf. Riffard/Mougenot (2008: 69).

12 Le parallèle du fanâ avec la procédure de fétalisation dans la maïeutique socratique est frappant (cf. Sloterdijk 1988: 86). Par cette technique, l'âme est poussée, à travers des contradictions logiques et des humiliations, dans une situation sans issue où il ne lui reste qu'à reconnaître son ignorance. Chutée dans un non-savoir total, l'âme n'est plus loin de la sagesse. L'âme ne vient au monde dans un état épuré que si elle a auparavant été réduite à cet état de négativité fétale.

13 Bien que, selon la légende et selon Ibn 'Arabî, le prophète aurait effectué ce voyage matériellement (cf. Addas 1996: 69). Il est, en effet, remarquable que le "Hadith de la Vision" (Hadith Al-rû'ya) rapporte la vision extatique du Prophète Mohamed comme forme divine archétypique dans des termes très proches de ceux d'Ibn Arabî (quête de l'imitatio prophetae): "j'ai vu mon Seigneur […] dans une forme de la plus grande beauté, comme un Jouvenceau à l'abondante chevelure, siégeant sur le Trône de la grâce" (cité d'après Memmes 1994: 52). Pour une discussion plus approfondie cf. Addas (1996: 78–79).

14 Au sens propre, dans la mesure où Narcisse tombe amoureux de son propre reflet (son double, son alter ego).

15 Cf. notamment en raison du rapport établi entre l'islam et le taoïsme Skali (2004). Le modèle christique joue d'ailleurs un rôle, bien que non central, chez Ibn 'Arabi (cf. Addas 1996: 24, 30, 46).

16 Massignon (1994) souligne à juste titre la symétrie entre fanâ "state of mystical annihilation" et baqâ "state of the saint's immortalization", "return to our origin", "access even to the Creator's life". En effet, le but de la tariqa n'est atteint que lors de la fusion des deux egos dédoublés (le terrestre et le spirituel).

17 Cf. LdS (136): "Et le Mythe est, en son essence, la parole de l'unité inépuisable du cosmos."

18 "Cette remarque fait étrangement partie de la marque." (Derrida 1990: 100)

19 Il existe plusieurs versions de ce hadith, la plus courante est "Cherche la science jusqu'en Chine". Ce hadith, rapporté par Ibn Adee et Abu Nu'aym, est souvent cité, mais l'authenticité reste douteuse.

20 Ahnouch (2004: 279) identifie ce principe comme axe constructive de LdS, qui assure l'intégration de signes et symboles propres à l'imaginaire arabo-musulman.

21 Dans les termes de Mao Tse Tong:" La loi des contradictions inhérentes aux choses, c'est-à-dire la loi de l'unité des opposés, est la loi fondamentale de la nature de la société et, par extension, de la pensée" (cité d'après Mutti 2005).




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22 "Khatibi retrouve dans Le tao-tô king l'expression d'une doctrine de la pensée nomade qui s'exprime, dans la poésie et la mystique arabes, […] qui représente le destin de l'être maghrébin 'profondément habité par son passé pré-islamique, par l'Islam, par l'arabité, par la berbérité, par l'occidentalité'" (Ahnouch 2004: 104). La même complémentarité binariste peut être constatée pour LdS: "Toute la quête du narrateur poète, dans Le Livre du Sang, se résume à l'effort qu'il entreprend afin de réconcilier les oppositions constantes qui existent entre amour et mort, lumière et ombre, ciel et terre, ordre et désordre de la pensée cherchant à trouver, derrière l'apparence miroitante et dédoublée du monde, une issue qui s'ouvrirait à la cohabitation des contraires." (Ahnouch 2004: 44 s.) Elle apparaît, par ailleurs, également dans le Coran (sourate 57:3): Dieu est "le Premier et de Dernier, l'Apparent et le Caché". Nous constatons de nouveau la convergence avec ces structures qui s'inspirent du taoïsme et de la structure binariste que nous avons généralement relevée dans l'imaginaire culturel marocain (et assez certainement valable au-delà) sur la base de nos recherches ethno-sociolinguistiques, structure à laquelle nous avons donné le nom "ton duel polaire" (Jablonka 2005: 198). Elle rejoint par ailleurs aussi la psychanalyse freudienne (amour vs. mort – Eros vs Thanatos), alors qu'Ahnouch semble privilégier la psychanalyse sous sa version jungienne comme matrice interprétative.

23 Pour Khatibi, le texte littéraire représente "un lieu de réincarnation, quitte […] à introduire – du français en français – des agencements idiomatiques, à y greffer des points de rupture, des noyaux de dissidence, de résistance" (JDEE, 52). Pour la pluralité interne du française, résultat du changement exogène, cf. MP, 188: "la langue tierce, le français se substitue à la diglossie en se traduisant lui-même en français." "La langue française n'est pas la langue française: elle est plus ou moins toutes les langues internes et externes qui la font et la défont."

24 Pour la philosophie du langage gramscienne cf. Lo Piparo (1979), d'un point de vue poststructuraliste Jablonka (1998b). Notons qu'il est fait référence au savoir, dont l'intellectuel est porteur ; l'idée que l'intellectuel, en l'occurrence organique, a le devoir d'atteindre un niveau de savoir, de connaissance et de réflexion supérieur à celui de ses homologues de la classe adverse est un topos typiquement gramscien.

25 Dans LdS (245), il est question de " transmutation" par la confusion entre les langues, mais aussi entre la langue, les langues, et le corps.

26 "Denn da das Herz des Dichters der Mittelpunkt der Welt ist, so mußte es wohl in jetziger Zeit jämmerlich zerrissen werden." – "Puisque le cœur du poète est le centre du monde, il a dû être horriblement déchiré à l'époque actuelle." (Heine 1994 [1829]: 374).

27 Ce motif joue un rôle central dans BNP.