LE MONDE / 31 Mars 1999 / Page 17

HORIZONS DEBATS

Arrêt des bombardements, autodétermination

NOUS n'acceptons pas les faux dilemmes : - Soutenir l'intervention de l'OTAN ou soutenir la politique réactionnaire du pouvoir serbe au Kosovo ? Les frappes de l'OTAN imposant le retrait des forces de l'OSCE du Kosovo ont facilité et non pas empêché une offensive sur le terrain des forces paramilitaires serbes ; elles encouragent le pire des revanchismes ultranationalistes serbes contre la population kosovare ; elles consolident le pouvoir dictatorial de Slobodan Milosevic qui a muselé les médias indépendants et rassemblé autour de lui un consensus national qu'il faut au contraire briser pour ouvrir la voie à une négociation politique pacifique sur le Kosovo. - Accepter comme seule base de négociation possible le " plan de paix " élaboré par les gouvernements des Etats-Unis ou de l'Union européenne - ou bombarder la Serbie ? Aucune solution durable à un conflit politique majeur interne à un Etat ne peut être imposée de l'extérieur, par la force. Il n'est pas vrai que " tout a été tenté " pour trouver une solution et un cadre acceptable de négociations. On a forcé les négociateurs kosovars à signer un plan qu'ils ont initialement rejeté en leur laissant croire que l'OTAN s'impliquerait sur le terrain pour défendre leur cause. C'est un mensonge qui entretient une totale illusion : aucun des gouvernements qui soutiennent les frappes de l'OTAN ne veut faire la guerre au pouvoir serbe pour imposer l'indépendance du Kosovo. Les frappes affaibliront peut-être une partie du dispositif militaire serbe mais ne vont pas affaiblir les tirs de mortiers qui, sur le terrain, détruisent les maisons albanaises, ni les forces para- militaires qui exécutent les combattants de l'UCK (Armée de libération du Kosovo).

L'OTAN n'était pas le seul ni surtout le meilleur point d'appui d'un accord. On pouvait trouver les conditions d'une police multinationale (notamment composée de Serbes et d'Albanais) dans le cadre de l'OSCE pour appliquer un accord transitoire. On pouvait, surtout, élargir le cadre de la négociation aux Etats balkaniques fragilisés par ce conflit : la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, l'Albanie... On pouvait à la fois défendre le droit des Kosovars à l'auto-gouvernement de la province et la protection des minorités serbes du Kosovo ; on pouvait chercher à répondre aux aspirations et aux peurs des différents peuples concernés par des liens de coopération et des accords entre Etats voisins, avec la Serbie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, l'Albanie... Rien de tout cela n'a été tenté.

Nous n'acceptons pas les arguments qui tentent de légitimer l'intervention de l'OTAN : - Il n'est pas vrai que les frappes de l'OTAN vont empêcher un embrasement de la région, en Macédoine ou en Bosnie-Herzégovine : elles vont au contraire l'alimenter. Elles vont fragiliser la Bosnie-Herzégovine et sans doute menacer les forces multinationales chargées d'y appliquer les fragiles accords de Dayton. Elles embrasent déjà la Macédoine. - Il n'est pas vrai que l'OTAN protège les populations kosovares, ni leurs droits. - Il n'est pas vrai que les bombardements de la Serbie ouvrent la voie à un régime démocratique en Serbie.

Les gouvernements de l'Union européenne comme celui des Etats-Unis ont peut-être espéré que cette démonstration de force forcerait la signature de leur plan par Slobodan Milosevic. Ont-ils ainsi fait preuve de naïveté ou d'hypocrisie ? En tout cas cette politique mène non seulement à une impasse politique, mais à une légitimation du rôle de l'OTAN hors de tout cadre international de contrôle.

C'est pourquoi nous demandons :

Pierre Bourdieu, Pauline Boutron, Suzanne de Brunhoff, Noëlle Burgi-Golub, Jean- Christophe Chaumeron, Thomas Coutrot, Daniel Bensaïd, Daniel Durant, Robin Foot, Ana-Maria Galano, Philip Golub, Michel Husson, Paul Jacquin, Marcel-Francis Kahn, Bernard Langlois, Ariane Lantz, Pierre Lantz, Florence Lefresne, Catherine Lévy, Jean-Philippe Milésy, Patrick Mony, Aline Pailler, Catherine Samary, Rolande Trempé, Pierre Vidal-Naquet.

Quelle: http://archives.lemonde.fr/