Rapports

Formation des enseignants pour les écoles plurilingues en Europe. Le projet ALPME : Programme de niveau avancé pour une éducation plurilingue


Piet van de Craen, Vrije Universiteit, Bruxelles, Belgique
et Carmen Perez-Vidal, Universidad Pompeu Fabra, Barcelone, Espagne

Table des matières
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Introduction

Dès le premier Réseau thématique dans le domaine des langues (TNP1, 1997-1999), l’un des sous-groupes était intitulé « Formation des formateurs en langues et Enseignement Bilingue », s’inscrivant ainsi directement dans le prolongement du projet Sigma. Les activités du sous-groupe ont abouti en particulier à l’organisation d’un colloque européen sur ce thème à Bruxelles, en mai 1999. Neuf des universités membres du TNP ont ensuite participé à un projet de programme commun de formation, financé par la Commission européenne, qui a débouché sur la création du projet ALPME (2001-2003), coordonné par Carmen Perez-Vidal, de l’Universidad Pompeu Fabra (Barcelone), et Piet van de Craen (Vrije Universiteit Brussel) (1). L’objectif du projet était de jeter les bases d’un cursus commun pour la formation des enseignants d’écoles bilingues ou plurilingues au niveau européen. Le présent article se propose de décrire quelques caractéristiques de ce cursus et de tracer des pistes pour de futurs développements dans ce domaine. Rappelons que les idées exposées ici restent la propriété intellectuelle du groupe des participants au projet.

Terminologie

Les membres du groupe ont été confrontés d’emblée à deux questions : premièrement, pourquoi cet intitulé, « Programme de niveau avancé » et deuxièmement, quels termes employer et comment définir ce type de formation ?

Les systèmes éducatifs en Europe sont multiples. Dans certains pays, tous les enseignants sont formés à l’université, tandis que d’autres réservent la formation universitaire aux seuls les enseignants de niveau lycée, les enseignants du primaire ou de collège étant formés dans des instituts de formation des maîtres. La mise en place du système « LMD » n’a pas encore eu d’impact sur cette situation, et il n’est pas encore facile de savoir, en cette fin de premier semestre 2003, combien d’Etats membres ont l’intention de réformer leur système de formation des maîtres, et comment ils entendent le faire. Puisque les formations plurilingues commencent généralement avant l’enseignement supérieur, et puisque le projet se voulait ouvert aux formations à plusieurs niveaux du système, il a été décidé de retenir l’appellation « Programme de niveau avancé ».

Le second point concerne le choix du terme « plurilingue ». Il est vrai que certains auteurs anglo-saxons appliquent le terme « multilingual » à des sociétés qui utilisent plusieurs langues, alors que le terme « plurilingual » est réservé aux individus parlant plusieurs langues. Mais tous les spécialistes n’adoptent pas cette terminologie. Baker et Prys Jones, auteurs d’un ouvrage qui fait référence dans le domaine : « Encyclopedia of Bilingualism and Bilingual Education » (1998), ne font pas cette distinction et préfèrent employer systématiquement le terme « bilinguisme », considérant que le « plurilinguisme » ne concerne que des cas particuliers (et citant en exemple des personnalités comme le Pape ou Sophia Loren !). Toutefois, puisque la politique linguistique officielle de l’UE telle qu’elle figure dans le Livre Blanc de 1995, est fondée sur le principe du 1+2 (langue maternelle + deux langues étrangères), nous avons pensé qu’il serait plus facile de parler d’éducation « plurilingue », puisque cette appellation est plus proche de la réalité.

Qu’entend-on par « éducation plurilingue » ?

En examinant les systèmes éducatifs européens, on s’aperçoit très vite qu’ils donnent au terme « plurilinguisme » des sens très différents. Certains appliquent le plurilinguisme partout, y compris dans l’administration. D’autres voient dans les écoles dites « européennes » des exemples classiques de « plurilinguisme » alors que d’autres encore ne parlent d’écoles « plurilingues » que si elles mettent en œuvre des stratégies d’enseignement véritablement bi- ou plurilingues. En d’autres termes, on peut dire qu’il règne dans ce domaine une grande confusion, y compris dans les pays qui ont déjà des cursus plurilingues. Il peut donc être utile de commencer par définir ce que nous entendons par « éducation plurilingue ».

Le projet ALPME a une vision claire de ce qui constitue un enseignement plurilingue, l’exemple parfait étant ce que l’on désigne par CLIL (Content and language integrated learning) ou EMILE (Enseignement d’une matière par intégration d’une langue étrangère). Le CLIL/EMILE est un terme générique qui recouvre tous les types d’enseignement, quel que soit le niveau, qui considèrent les langues étrangères comme moyen d’apprentissage d’une ou de plusieurs matières et non plus seulement comme des matières en elles-mêmes. Ceci signifie généralement que le programme est partagé entre les matières enseignées dans la langue A et celles enseignées dans la langue B. Mais le pourcentage des heures totales enseignées dans la langue étrangère peut varier de 10 à 80% selon les circonstances locales, la disponibilité des enseignants, la situation politique ou historique, etc.

Bien que cela ressemble beaucoup au système classique d’enseignement par immersion, il faut noter deux différences majeures. D’abord, le CLIL/EMILE est un système très souple qui peut s’adapter à toutes sortes de circonstances. Deuxièmement, le CLIL/EMILE, contrairement à certains systèmes d’enseignement par immersion, conserve une place importante à l’enseignement des langues.

Le CLIL/EMILE semble de ce fait l’une des façons privilégiées, dans le cadre d’une politique des langues, de mettre en œuvre la recommandation du Livre Blanc de 1995 préconisant l’apprentissage d’au moins deux langues étrangères par tous les citoyens européens. Les personnes intéressées trouveront de plus amples renseignements sur le CLIL/EMILE sur le site http://www.euroclic.net et sur http://europa.eu.int/comm/education/languages/index.html, et pourront notamment télécharger un rapport sur le système CLIL/EMILE rédigé par David Marsh (2002).

Formation des formateurs pour écoles plurilingues

On n’insistera jamais assez sur l’importance de la formation des maîtres, et en particulier de celle des enseignants d’écoles plurilingues. Un rapport de l’OCDE sur l’offre et la demande d’enseignants précise que « la qualité des enseignants est un élément essentiel dans le processus d’apprentissage » et que « l’amélioration des systèmes scolaires passe par le recrutement et la fidélisation de bons enseignants » (OCDE, 2002 : 8). Un autre aspect important est de savoir susciter la motivation pédagogique chez les futurs enseignants et l’entretenir chez les enseignants chevronnés. L’enseignement plurilingue apparaît ainsi comme un élément moteur dans l’entretien de cette motivation par son aspect novateur. D’autre part, une étude commandée par la Commission européenne sur Foreign Languages in Primary and Pre-School Education (Les langues étrangères dans l’enseignement primaire et pré-scolaire : http://europa.eu.int/comm/education/policies/lang/innov/foreign_en.html)
précise que les enseignants doivent faire preuve des compétences suivantes : « bien maîtriser la langue cible, savoir analyser et décrire la langue, connaître les principes de l’acquisition d’une langue étrangère, et les compétences pédagogiques requises pour enseigner les langues étrangères à de jeunes enfants. »

De plus, la formation des formateurs travaillant dans ce secteur doit s’ouvrir à toutes sortes d’enseignants et plus seulement aux enseignants de langues, puisque la formation plurilingue fait appel en premier aux enseignants de disciplines non linguistiques. Le site Europa mentionné plus haut soutient que « des enseignants du primaire sans formation à l’enseignement des langues étrangères et des enseignants de langue du secondaire sans connaissance de la pédagogie du primaire n’ont pas généralement toutes les qualités nécessaires… » pour le CLIL/EMILE. Ils ont tous besoin de cours de « mise à niveau » à dose massive.

Au vu des recommandations citées, il a été décidé de développer en premier les modules consacrés aux aspects suivants : acquisition de la langue ; bilinguisme and enseignement bilingue ; spécificités de l’enseignement des langues dans les classes plurilingues ; cursus, programmes et matériaux pédagogiques adaptés à l’enseignement plurilingue ; cours de langue adaptés à des domaines et à des contenus spécifiques ; études européennes comparées ; projets de recherche dans la classe ; et stages pédagogiques dans des classes plurilingues (voir également Wolff 2001 ; 2002).

Afin de faciliter l’accès aux modules, le groupe a opté pour un accès en ligne via Internet. Les contenus ont donc été répartis entre deux sections distinctes : un espace « Techniques et développement » et un espace « Pédagogie et apprentissages ». Le premier traite plutôt des problématiques générales du domaine, alors que le second est consacré aux aspects pédagogiques du CLIL/EMILE. Le site est actuellement accessible et les contenus sont en cours de rédaction (voir http://upf.es/dtf/alpme). Nous espérons pouvoir mettre en ligne une grande partie du site d’ici septembre 2003.

Formation des formateurs pour l’enseignement plurilingue : perspective européenne et perspective locale

Au vu de la diversité des situations en matière de formation des maîtres à travers l’Europe, il est indispensable d’avoir des relais au niveau local pour surmonter des problèmes souvent très spécifiques et complexes. Nous allons d’abord examiner certaines initiatives prises en Belgique.

Tout d’abord il faut rappeler qu’en Belgique, l’anglais, contrairement à la situation dans plupart des pays, est la troisième langue et non la deuxième, puisque celle-ci est le français ou le néerlandais, selon les cas. Pour les enseignants de maternelle, de primaire ou de collège, un site anglophone n’aurait donc pas beaucoup de sens. D’où la nécessité de créer un sous-groupe ALPME intitulé PAVOLEMO en néerlandais (postacademische vorming voor leraren meertalig onderwijs) et FORMADEP en français (Formation d’enseignants pour l’éducation plurilingue), consacré à la formation des enseignants d’écoles plurilingues des Communautés néerlandaises et françaises. D’autres initiatives ont été prises au niveau universitaire, avec la création d’un Master commun pour l’Apprentissage et l’enseignement des langues et l’éducation plurilingue, destiné à prendre le relais du projet ALPME à plus long terme après la fin du Projet commun d’études. Enfin, des contacts ont été pris avec des organisations parentales qui s’intéressent à l’éducation plurilingue, comme l’association TIBEM (Tweetaligheid in Beweging/Bilinguisme en mouvement ). De telles organisations peuvent aider à surmonter les oppositions au plurilinguisme à l’école, de par leurs contacts avec les responsables du monde éducatif ou politique.

Vers une formation européenne de formateurs pour l’enseignement plurilingue

Le projet ALPME et d’autres initiatives similaires au niveau local constituent une première étape vers la création d’un programme de formation de formateurs plurilingues européen. La création de Masters européens dans ce domaine semble être une conséquence naturelle du processus de Bologne. Les universités et les instituts de formation des maîtres qui souhaiteraient s’engager dans une démarche de ce type sont donc invités à contacter le Conseil européen pour les langues. Ce n’est que par la création de réseaux et l’échange d’information au niveau européen que nous pourrons dépasser les traditions et les habitudes nationales bien ancrées. L’évolution des mentalités prendra du temps, mais nous sommes convaincus qu’elle aura lieu et qu’un label européen en matière de formation de formateurs pour l’enseignement plurilingue verra le jour aux cours des dix prochaines années.

Références

1995. Livre Blanc sur l’Education et la Formation. Enseignement et apprentissage – Vers une société de l’apprentissage. Bruxelles : Commission Européenne. COM(95)590
http://europa.eu.int/en/record/white/edu9511/

1998. Foreign Languages in Primary and Pre-School Education (Les langues étrangères dans l’enseignement primaire et pré-scolaire). Bruxelles : Commission Européenne. http://europa.eu.int/comm/education/policies/lang/innov/foreign_en.html

2002. Teacher Demand and Supply: Improving Teaching Quality and Addressing Teacher Shortages. OECD Education Working Papers No. 1. http://www.oecd.org/

Baker, C. and S. Prys Jones. 1998. Encyclopedia of Bilingualism and Bilingual Education. Clevedon: Multilingual Matters.

Marsh, D. 2002. Content and Language Integrated Learning: The European Dimension - Actions, Trends and Foresight Potential http://europa.eu.int/comm/education/languages/index.html

Wolff, D. 2001. Towards an advanced level programme in content-based language education. In: P. Van de Craen and C. Perez-Vidal (eds) The Multilingual Challenge/Le défi multilingue. Barcelona: Printolubro, 27-39.

Wolff, D. 2002. Zur Ausbildung von Lehrerinnen und Lehrern für mehrsprachige Bildungsgänge. In: S. Breidbach, G. Bach and D. Wolff (eds) Bilingualer Sachfachunterricht. Didaktik, Lehrer-/Lernerforschung und Bildungspolitik zwischen Theorie und Empirie. Frankfurt am Main: Peter Lang, 253-267.

Note

(1) Le projet ALPME regroupe également les universités suivantes : Jyväskylän yliopisto, FI (Kari Sajavaari et David Marsh), Rijksuniversiteit Utrecht, NL (Gerrit-Jan Koopman), University of Nottingham, UK (Do Coyle), Trinity College Dublin, IE (Sean Devitt), Universität Wuppertal, DE (Dieter Wolff), Université Marc Bloch, Strasbourg, FR (Claude Springer) et la Università di Ca’ Foscari, Venice, IT (Carmel Coonan).


Bulletin d'information 9 du CEL - avril 2003