Rapports

Les projets du Conseil de l'Europe en matière de langues vivantes et le développement de la politique des langues

Joseph Sheils
Directeur de la Division des Langues vivantes
Conseil de l'Europe, Strasbourg

Table des matières
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Cet article propose un résumé de la politique menée dans le domaine des langues par le Conseil de l'Europe à Strasbourg, au cours des trente dernières années. Il donne également un aperçu global des résultats des récents projets à moyen terme impliquant les pays signataires de la Convention culturelle européenne (actuellement au nombre de 47). L'Année européenne des langues 2001 est une occasion privilégiée de mettre l'accent sur certains axes majeurs de la politique menée et sur l'existence d'instruments et d'initiatives pour le développement de cette politique.

La politique

La politique du Conseil de l'Europe en matière de langues repose principalement sur les principes suivants :

L'accès
L'apprentissage des langues doit être accessible à TOUS ; il ne peut être réservé à une élite sociale et intellectuelle dans une Europe qui est et restera multilingue et multiculturelle. Les arguments suivants en faveur de l'accès pour TOUS à l'apprentissage des langues sont très largement reconnus :

L'adaptabilité culturelle, l'égalité et l'intégration sociale, l'exercice de la démocratie et l'accès à l'emploi, passent donc par la possibilité pour chacune et chacun d'apprendre les langues étrangères, possibilité qui est non seulement une nécessité, mais un véritable droit pour tous les citoyens.

Le plurilinguisme et le pluriculturalisme
L'objectif de l'apprentissage des langues est de développer le plurilinguisme et le pluriculturalisme de chacun. En 1998, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a adressé une recommandation aux Etats membres afin de promouvoir la diffusion du plurilinguisme "en encourageant tous les Européens à atteindre un certain niveau de compétence communicative dans plusieurs langues".[1] Le but n'est pas de maîtriser plusieurs langues mais d'avoir des capacités de communication certaines dans au moins deux autres langues. Cet objectif se fonde sur le fait que différentes langues peuvent être apprises à différents niveaux de compétence et que ce niveau de compétence dépend des besoins exprimés et des circonstances de leur utilisation. Le but n'est plus d'atteindre le niveau de compétences du locuteur natif mais de devenir "locuteur interculturel ", capable de servir de médiateur entre différents groupes sociaux et culturels.

La recommandation souligne également le fait qu'il soit important de diversifier l'éventail de langues proposées dans les systèmes éducatifs. Cette diversité peut notamment être atteinte par la mise en place de programmes souples, sur une base modulaire et permettant la reconnaissance de compétences "partielles " (par exemple, de lecture et d'écoute), au niveau des diplômes.

Le plurilinguisme ne se limite pas seulement à la capacité à communiquer dans d'autres langues. Il passe également par la reconnaissance et le respect des langues et des locuteurs étrangers. Par conséquent, il est primordial de développer parmi les citoyens européens la prise de conscience de la nature multilingue de l'Europe et des autres régions du monde. C'est justement l'un des objectifs de l'Année européenne des langues. Il est également important de leur faire prendre conscience de leur propre identité plurilingue et de la valoriser, que ce soit par l'apprentissage à l'école, à la maison, ou par l'environnement dans lequel ils vivent. C'est un des objectifs du Portfolio des langues européennes (voir ci-dessous). L'identité d'un individu se compose de multiples éléments, parmi lesquels les langues qu'il ou elle pratique. L'identité n'est pas figée ; elle évolue et s'enrichit grâce aux nouvelles expériences de la vie et l'apprentissage d'autres langues en fait partie. Dans ce contexte, la diversité linguistique n'est pas perçue comme une barrière mais bien comme une source potentielle d'enrichissement qui contribue au développement d'une "identité ouverte et multiple ".

La diversité linguistique
Les Etats membres du Conseil de l'Europe accueillent plus de 200 langues indigènes et s'enrichissent grâce à plusieurs centaines de langues parlées par les communautés immigrées dans les grandes villes. La plupart des pays utilisent plus d'une langue et pour beaucoup, le bilinguisme fait partie de la vie quotidienne. En cette année européenne des langues, il est important d'essayer de mieux comprendre la richesse de l'héritage linguistique européen et de mieux percevoir la nécessité de promouvoir activement les langues souvent appelées "langues les moins utilisées ".

Les instruments politiques pour la diversité linguistique et le plurilinguisme

Le travail du Conseil de l'Europe concerne aussi bien l'usage des langues que l'enseignement et l'apprentissage des langues. Deux instruments normatifs en particulier se rapportent à l'usage des langues : la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (Pour plus d'informations, se reporter aux sites Internet).[2]

Les instruments décrits ci-dessous traitent plus spécialement de la promotion de la diversité linguistique dans l'enseignement et l'apprentissage des langues et n'ont pas de rôle normatif. Ils servent de guide et de support pour le développement et la mise en œuvre de la politique des langues pour promouvoir un apprentissage des langues renforcé et plus diversifié. Ils s'adressent principalement aux décideurs et aux professionnels des langues. On trouve ainsi des outils descriptifs comme le Cadre européen de référence pour les langues ou la définition d'objectifs d'apprentissage de langues spécifiques ("niveau-seuil " et autres niveaux) ou encore des outils analytiques comme le Guide pour le développement des politiques linguistiques éducatives, actuellement en cours d'élaboration. Malgré leur importance, ces instruments ne touchent les citoyens qu'indirectement. Plus récemment, est apparu un document destiné plus spécialement aux apprenants eux-mêmes : le Portfolio européen des langues. Voici un bref aperçu de quelques-uns uns de ces instruments.

Le Cadre européen commun de référence pour les langues
Le Cadre "décrit aussi complètement que possible ce que les apprenants d'une langue doivent apprendre afin de l'utiliser dans le but de communiquer ; il énumère également les connaissances et les habiletés qu'ils doivent acquérir afin d'avoir un comportement langagier efficace. La déscription englobe aussi le contexte culturel qui soutient la langue. Enfin le Cadre de référence définit les niveaux de compétence qui permettent de mesurer le progrès de l'apprenant à chaque étape de l'apprentissage et à tout moment de la vie".[3]

Le Cadre est un document descriptif et ne donne donc pas de directives en matière de politique. Il a pour but d'inciter à réfléchir et à échanger sur tous les aspects de l'apprentissage, de l'enseignement et de l'évaluation des langues. Il propose une base et une langue commune pour l'élaboration de curriculum, de programmes, de manuels, d'examens et de programmes de formation d'enseignants pour toute l'Europe. Le Cadre peut faciliter la cohérence et la transparence dans la description des objectifs, des contenus et des méthodes, ceci afin de permettre aux participants de réfléchir et de coordonner leurs efforts dans l'intérêt des apprenants. Etant donné que le Cadre propose une description objective des niveaux de compétence en langues, il peut servir d'outil de standardisation des examens et des diplômes. En facilitant la reconnaissance mutuelle des diplômes décernés dans différents pays, la mobilité au sein de l'Europe n'en sera que renforcée.

Niveaux de compétences en langues spécifiques
Etant donné que le Cadre ne fournit pas de directives adaptées à des langues précises, il est nécessaire de proposer un outil complémentaire qui définisse précisément des objectifs d'apprentissage pour la communication dans chaque langue. Le Conseil de l'Europe a élaboré une série de spécifications d'objectifs d'apprentissage qui établissent avec précision "ce dont les utilisateurs d'une langue ont le plus souvent besoin ou ce qu'ils doivent savoir faire pour communiquer dans cette langue, et par conséquent les savoirs et savoir-faire qu'ils doivent développer pour parvenir à communiquer efficacement".[4] L'approche repose sur "l'exploitation maximale d'un niveau minimal de connaissances ".

Le "niveau seuil " est l'élément central de ces spécifications. Son but est d'identifier les connaissances linguistiques minimales qui sont nécessaires aux apprenants pour communiquer de manière indépendante dans les situations de transaction et d'interaction les plus courantes de la vie quotidienne, lorsqu'ils sont visiteurs ou résidents temporaires dans un pays étranger. Un niveau inférieur appelé "waystage " (niveau intermédiaire ou de survie) a été élaboré : il correspond aux connaissances les plus indispensables. Plus récemment, un niveau supérieur appelé "vantage " (niveau avancé ou utilisateur indépendant) a été défini. Il s'adresse aux apprenants qui ont atteint le niveau seuil dans la langue de leur choix et qui souhaitent approfondir leurs connaissances. Il s'agit ici moins de découvrir des notions totalement nouvelles que d'apprendre à s'exprimer de manière plus appropriée, par exemple en élargissant son vocabulaire, en développant l'aisance et la précision de son expression afin de mieux réagir aux difficultés de la vie de tous les jours.

Ces trois niveaux ascendants reposent sur un modèle unique. Ainsi, la souplesse de cette approche permet d'adapter ces niveaux à des contextes et à des besoins d'apprentissage particuliers. Des niveaux supplémentaires peuvent notamment être introduits, facilitant ainsi l'accès au niveau supérieur et augmentant la motivation des apprenants, et certains éléments peuvent être complétés ou réduits afin de répondre à des besoins spécifiques. Ces outils conceptuels ont contribué à planifier et à pratiquer un enseignement des langues fondé sur des objectifs valables, adaptés et réalistes. A ce jour, des spécifications ont été finalisées pour près de trente langues nationales ou régionales, et d'autres sont en préparation.

Portfolio européen des langues
La Recommandation N° (98) 6 du Comité des Ministres concernant les langues vivantes incite les états membres à "encourager le développement et l'utilisation par les apprenants dans tous les secteurs de l'éducation d'un document personnel (Portfolio européen des langues) dans lequel ils pourraient inscrire leurs qualifications et autres expériences linguistiques et culturelles significatives de manière transparente au plan international, en motivant de cette manière les apprenants et en reconnaissant leurs efforts d'étendre et de diversifier leur apprentissage des langues à tous les niveaux et tout au long de la vie " (op.cit.).

Un projet pilote a été mené (1998-2000) sur la faisabilité du Portfolio dans divers contextes éducatifs.[5] Suite aux résultats positifs de ce projet initial, une Résolution de la Conférence permanente des Ministres européens de l'Education (20e session, Cracovie, octobre 2000) a encouragé la diffusion d'un Portfolio dans les Etats membres, dans le cadre des politiques linguistiques nationales.[6] Cette diffusion s'amorce actuellement et le projet a reçu un accueil favorable dans tous les secteurs de l'éducation.

Le Portfolio a à la fois une fonction pédagogique et une fonction de présentation. Il comprend trois parties complémentaires : un passeport de langues, une biographie langagière et un dossier. Le passeport de langues est un moyen d'information : le détenteur y consigne sous une forme résumée les informations relatives à ses principales compétences et expériences linguistiques et culturelles à un moment donné, conformément aux niveaux de référence du Cadre. Les diplômes officiels, tout comme les compétences de tout niveau acquis dans un cadre formel ou en dehors (auto-évaluation) peuvent être enregistrés et évalués en utilisant l'échelle d'évaluation européenne. Afin de faciliter la mobilité des apprenants d'âge adulte, une version standardisée leur est destinée. Celle-ci n'a pas pour finalité de remplacer mais de compléter les diplômes officiels.

La biographie langagière présente les expériences et réalisations des apprenants dans chaque langue de manière plus détaillée. L'accent porte sur la fonction pédagogique. En effet, l'apprenant peut utiliser cette partie du Portfolio pour suivre ses progrès tout au long du processus d'apprentissage (préparation, réflexion, évaluation). La biographie langagière est un instrument souple qui peut facilement s'adapter aux besoins propres du contexte éducatif. L'apprenant peut réunir des exemples de réalisations dans le dossier et les relier aux données des deux autres parties. D'autres renseignements pertinents tels que des informations sur les programmes suivis ou les critères d'évaluation aux examens peuvent y être consignés.

Le Conseil de l'Europe a souhaité faire du Portfolio un instrument destiné à assister et à encourager les apprenants à développer leur plurilinguisme tout au long de leur vie. Il a pour but de contribuer à promouvoir la diversification de l'apprentissage des langues, d'améliorer la qualité de l'apprentissage et de faciliter cet apprentissage à tous les âges de la vie. Des lignes directrices et des principes communs ont été définis afin de garantir une utilisation cohérente et efficace du Portfolio européen des langues à travers l'Europe. Plusieurs pays ainsi que des ONG internationales élaborent actuellement des versions spécifiques en réponse à des besoins locaux, conformément aux critères définis pour trois niveaux différents : jeunes apprenants, élèves de l'enseignement secondaire et adultes. La procédure consiste à soumettre sa proposition de Portfolio à l'examen d'un Comité européen de validation à Strasbourg. L'accord du comité ouvre alors le droit à l'utilisation d'un logo spécial du Conseil de l'Europe. Vous trouverez davantage d'informations et de la documentation sur le site Internet http://culture.coe.int/portfolio

Guide pour le développement des politiques linguistiques éducatives en Europe
Un guide proposant des approches pour l'analyse du multilinguisme et l'élaboration de politiques linguistiques éducatives adaptées à des zones géographiques précises est en cours d'élaboration. S'il ne contient pas de directives à part entière, ce Guide facilitera le développement de politiques ayant pour but la promotion et le maintien de la diversité linguistique.

Le Guide traitera de la diversité linguistique sous ses deux aspects : le multilinguisme (l'utilisation de plusieurs langues dans une même zone géographique) et le plurilinguisme (l'éventail de langues qu'un individu est susceptible d'utiliser - dont la "langue maternelle " ou "première langue ", la "deuxième langue ", la "langue minoritaire " et les "langues étrangères "). Il aura pour but :

Le Guide, qui pourra être utilisé dès le début de l'année 2002, ainsi que d'autres instruments existants serviront à l'analyse des politiques linguistiques éducatives nationales à la demande des Etats membres.

Conclusion

Cet article s'est efforcé de fournir un bref aperçu des actions actuellement menées par la Division des Langues vivantes du Conseil de l'Europe à Strasbourg, responsable notamment du développement des politiques linguistiques. Son action est complétée par le travail du Centre européen pour les langues vivantes de Graz qui s'intéresse à la mise en œuvre de cette politique, et plus particulièrement à l'enseignement des langues et la diffusion d'exemples de bonnes pratiques dans ce domaine.

La Division des Langues vivantes coordonne l'Année européenne des langues 2001, qui nous fournit une occasion rêvée et tout à fait exceptionnelle de placer le débat sur la politique linguistique au cœur de la réflexion autour de l'Europe que nous souhaitons voir émerger demain. Notre rôle, en particulier aujourd'hui, consiste à promouvoir des politiques linguistiques qui ne soient pas seulement dictées par des considérations économiques, mais qui tiennent compte de la lutte contre l'exclusion, de la stabilité sociale, de la citoyenneté démocratique et des droits en matière de langues. La promotion de la diversité linguistique et des possibilités d'apprentissage des langues relève véritablement des droits de l'homme et de la citoyenneté démocratique au niveau européen. L'Année européenne des langues 2001 devrait servir de moteur pour faire avancer des politiques linguistiques fondées sur ces principes de base. Ce sera l'objet d'un nouveau programme d'action à moyen terme qui sera lancé à Strasbourg au printemps 2002.

(Nota : les points de vues exprimés dans cet article n'engagent pas le Conseil de l'Europe)

Notes

[1] Recommandation N° R (98) 6 du Comité des Ministres aux Etats Membres concernant les Langues vivantes (adoptée par le Comité des Ministres le 17 mars 1998, lors de la 623e réunion des Délégués des Ministres).

[2] Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
http://conventions.coe.int/treaty/fr/Treaties/Html/148.htm

Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
http://conventions.coe.int/treaty/fr/Treaties/Html/157.htm

[3] Conseil de l'Europe (2001) Cadre européen commun de référence pour les langues: apprendre, enseigner, évaluer, Didier/Conseil de l'Europe.

[4] Van Ek, J.A. and J.L.M. Trim (2001) Vantage, Cambridge University Press/Council of Europe.

[5] Schärer, R. (2001) Portfolio européen des langues, Rapport final du Projet pilote, Conseil de l'Europe.

[6] Conseil de l'Europe (2000) Politiques éducatives pour la citoyenneté démocratique et la cohésion sociale : enjeux et stratégies pour l'Europe (20e Session de la Conférence permanente des Ministres européens de l'Education), textes adoptés.
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Bulletin d'information 7 du CEL - avril 2001