Rapports |
Un
document de référence pour une politique linguistique universitaire
en Europe: un défi pour la "Task Force sur la politique linguistique
européenne" Anne-Claude
Berthoud |
Les statuts mentionnent en particulier l'amélioration quantitative et qualitative de la connaissance des langues, le développement du caractère multilingue et multiculturel de l'Europe, la promotion des autres langues et cultures, la conception et le lancement de projets européens, l'évaluation des unités d'enseignement et de recherche dans ces domaines, ainsi que la nécessaire collaboration des universités dans ces actions de formation, de recherche et d'évaluation. Objectifs qu'il s'agit pour la Task Force de reprendre, de préciser, de développer et de concrétiser, sous la forme notamment d'un document de référence du CEL/ELC, visant à définir le rôle spécifique de l'université dans la construction du citoyen européen plurilingue et pluri-culturel.
Ce document doit constituer un cadre conceptuel pour des recommandations et des actions, susceptibles de rendre l'université apte à répondre aux nouvelles exigences des mondes professionnel, politique, socioculturel et économique, aussi bien par ses structures de formation que par ses structures de recherche; réponse de l'université qu'il s'agit de concevoir en termes d'adaptation, de contrôle et d'anticipation.
Un document de référence en co-construction
Un tel document devait nécessiter de la part de la Task Force un long travail d'élaboration quant à ses objectifs, son contenu, sa structure et sa forme linguistique, travail dont il nous paraît important ici de retracer les principales étapes, dans la mesure où celles-ci donnent sens au produit final.
La première séance
de la Task Force a eu lieu à l'Université de Lausanne le 25 mars
2000 et a consisté avant tout en un "brainstorming", portant
sur la conception même du document et a abouti à une liste de suggestions,
aussi riches que diverses, relevant tout à la fois des objectifs, du
contenu, de la structure et de la forme à donner au document.
Une première tentative de catégorisation des propositions a été
soumise à la discussion, lors de la deuxième séance, fixée
au 6 avril 2000 à Bruxelles, où les différentes catégories
de questions ont été précisées, remodelées
et modifiées. C'est à partir de cette nouvelle catégorisation
qu'a été effectuée une première mise en texte, un
texte d'une trentaine de pages développant de façon détaillée
et explicite les différents concepts, recommandations ou actions proposés.
Ce texte constituait une première version "interne", à
partir de laquelle il s'agissait d'élaborer une version courte et simplifiée,
sélectionnant les éléments essentiels pour une première
discussion "externe". Ce travail de sélection et de réécriture
a été entrepris lors de la troisième séance, qui
a eu lieu à l'Université de Lausanne le 28 octobre 2000.
Cette version brève a été présentée et discutée au workshop des 15 et 16 décembre, organisé à la Freie Universität Berlin, rassemblant des représentants d'un grand nombre d'institutions européennes, et notamment de la Commission européenne, du Conseil de l'Europe, du Ministère de l'éducation nationale français, des associations telles que le CERCLES, EAQUALS, ACA et UNICA, ainsi que des membres du Conseil d'administration du CEL/ELC.
Le workshop a été organisé autour des principales questions développées dans le texte. Celles-ci ont été présentées par les membres de la Task Force, alors que les représentants des différentes institutions européennes étaient invités à y réagir, avant que ne soit organisé un débat général. Tant les interventions que les discussions ont apporté un nombre considérable d'idées, de compléments, de précisions ou de critiques, qu'il s'agit d'intégrer au texte pour sa version définitive. Cette version servira notamment de base de réflexion à l'atelier "Université et politique linguistique en Europe" dans le cadre de la Conférence "Multilinguisme et nouveaux environnements éducatifs", qui aura lieu à la Freie Universität Berlin, du 28 au 30 juin 2001.
Le document de référence : un cadre conceptuel pour des recommandations et des actions
Le document s'organise autour de quatre axes principaux, introduits par une description générale du contexte dans lequel il s'inscrit. Ces quatre axes sont:
Descriptif général
La motivation d'un tel document réside dans l'ambition de rendre les universités aptes à répondre au défi majeur que représente aujourd'hui l'intégration européenne croissante et notamment la volonté de maintenir la diversité linguistique et culturelle en Europe et de favoriser l'interaction entre ses langues et cultures, tout en s'inscrivant dans le cadre des exigences actuelles de la mondialisation et de la maîtrise de ses effets. La construction d'un citoyen européen plurilingue et pluri-culturel, ouvert sur le monde, constitue un défi majeur pour l'ensemble des systèmes éducatifs et notamment pour l'université. Celle-ci doit s'interroger sur la spécificité de sa contribution, aussi bien comme entité de formation que comme entité de recherche, c'est-à-dire devant tout à la fois répondre aux nouvelles exigences linguistiques et culturelles par ses structures de formation et anticiper sur les besoins futurs au travers de ses structures de recherche.
Or, l'évolution de l'université quant à ses choix éducatifs et scientifiques en matière linguistique implique que celle-ci se dote d'une politique linguistique susceptible d'orienter ses choix.
Les enjeux d'une politique linguistique universitaire
Les enjeux seront saisis tout d'abord en termes de description générale du contexte dans lequel une politique linguistique universitaire est à inscrire, à savoir les nouvelles réalités linguistiques de l'Europe face aux développements politiques, économiques et sociaux, le nouveau rôle des langues dans la société d'aujourd'hui, ainsi que leur importance dans la construction du citoyen européen.
Les enjeux seront ensuite définis en termes de responsabilités et de devoirs de l'université dans la promotion de la diversité linguistique et culturelle en Europe, dans le développement de la compétence plurilingue et pluri-culturelle du citoyen européen, dans la réalisation du principe "1+2" et du principe d'égalité entre les langues et cultures européennes, dans la défense des langues régionales et de minorité, dans la promotion des langues de migration, ainsi que dans la valorisation du rôle de médiation cognitive et sociale des langues.
Un concept global pour penser les langues à l'université
L'université doit devenir acteur de politique linguistique et être reconnue comme telle par les mondes politique, économique et professionnel. Pour ce faire, elle doit d'abord se reconnaître comme entité capable de prendre des décisions en matière de politique linguistique, comme institution consciente du rôle qu'elle doit jouer pour influer sur les situations linguistiques. Il s'agit d'une perspective nouvelle à découvrir, celle notamment de penser globalement les langues à l'université et de regrouper dans un même concept celles qui existent, celles qui ne sont pas reconnues et celles à inventer; un concept global appelant l'université à considérer les langues comme des ressources, qu'elle recense, valorise et développe.
Les moyens à développer pour un concept global
L'élaboration d'un concept global des langues à l'université implique qu'au désenclavement des nations et des cultures réponde un décloisonnement des disciplines et des langues, qu'il s'agisse en particulier de concevoir une forme d'éducation plurilingue pour l'université (permettant la construction conjointe de savoirs linguistiques et disciplinaires), ou d'envisager le remodelage de disciplines existantes, ou encore d'imaginer de nouveaux domaines d'enseignement, portant notamment sur la politique linguistique, tout en cherchant à promouvoir de nouvelles formes de recherches liées aux nouveaux objectifs linguistiques.
Ces nouvelles formes d'enseignement et de recherche doivent par ailleurs s'inscrire en complémentarité avec une pédagogie de l'échange fondée sur la mobilité des étudiants, mobilité physique ou virtuelle.
Or, l'intégration des langues et des disciplines dans les cursus universitaires exige également de nouvelles formes de reconnaissance et d'évaluation (à l'instar du Portfolio européen appliqué au contexte universitaire) pour que cette intégration devienne une réelle valeur ajoutée pour l'université et ses différents acteurs.
Mise en oeuvre d'une politique
linguistique
Si la mise en oeuvre d'une politique linguistique a un coût, il convient
de souligner l'investissement que ce coût peut représenter dans
l'optique des universités européennes de demain, sachant exploiter
au maximum les compétences linguistiques, et notamment celles aujourd'hui
laissées en jachère faute d'une utilisation judicieuse. Si les
financeurs habituels des universités sont certes limités dans
les efforts supplémentaires qu'ils peuvent consentir, ils peuvent néanmoins
être intéressés par des projets novateurs et en particulier
des projets réunissant de manière contractuelle plusieurs partenaires:
Etats, collectivités locales (régions et villes), institutions
internationales, entreprises. Pour donner une première impulsion, il
s'agit de convaincre des universités de jouer un rôle pilote et
de s'associer en réseaux internationaux pour confronter leurs expériences,
les évaluer, les reprendre à leur compte et transmettre leurs
compétences acquises.
Soulignons, en guise de conclusion,
que ce document de référence, issu d'un riche processus de "co-élaboration",
doit rester un texte ouvert, susceptible d'adaptation et de réaménagement,
en fonction des évolutions externes et internes de l'université,
c'est-à-dire, aussi bien en fonction des nouvelles exigences des contextes
socioculturel, politique et économique que des nouveaux défis
lancés aux mondes éducatif et scientifique.
Bulletin d'information 7 du CEL - avril 2001