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Réaliser l'objectif 1+2 en Europe : la voie du CLIL/EMILE David
Marsh |
L’article suivant est inspiré du rapport consultatif Content and Language Integrated Learning: The European Dimension - Actions, Trends and Foresight Potential, remis à la DG EAC de la Commission européenne en septembre 2002 (1). Cette présentation est destinée en premier lieu aux décideurs en matière de politique des langues et a pour objet de nourrir la discussion sur la pertinence et l’utilité de l’enseignement de disciplines non linguistiques par l’intermédiaire d’une langue étrangère dans le contexte européen.
Introduction
Le CLIL/EMILE désigne des situations d’apprentissage bivalent dans lesquels une langue seconde ou étrangère sert de véhicule à l’enseignement et à l’apprentissage de disciplines non linguistiques. Cet apprentissage est double car même si l’attention peut être focalisée successivement sur l’une ou l’autre des deux composantes, les deux vont toujours de paire.
Cette pédagogie est mise en œuvre de façon différenciée selon l’âge et la situation des apprenants. Elle est généralement pratiquée par des professeurs de langues, travaillant de concert avec des collègues d’autres disciplines, et peut prendre la forme de « d’arrosages réguliers » pour les 6-10 ans (30 à 60 minutes d’exposition à la langue par jour) ; de « rencontres avec la langue » pour les 10-14 ans (modules d’immersion de 40 heures environ précédant ou en parallèle avec les cours de langues plus classiques ; un apprentissage « bivalent » pour des 14-19 ans dans les filières générales (à raison de 5 à 10 heures par semaine) ; ou des séances « d’acquisition de compétences » pour des 16-19 ans dans des filières professionnelles.
De nombreuses variantes de ce type d’enseignement existent actuellement dans les systèmes scolaires européens, différentes à la fois par leurs objectifs et par la façon dont elles sont mises en œuvre. Elles vont de la préparation des enfants à l’apprentissage des langues au niveau pré-scolaire ou primaire à travers des activités de sensibilisation aux langues, jusqu’à des modules de mise en confiance à travers le développement de compétences pour certains étudiants de filières professionnelles qui n’ont pas tiré bénéfice des cours de langues suivis au cours de leur scolarité.
Etat des lieux
Le constat suivant fait l’objet d’un assez large consensus : il existe un fossé entre les objectifs affichés et les moyens dévolus à l’enseignement des langues d’une part, et les résultats en terme de compétences acquises de l’autre. Les Etats membres mettent souvent l’accent sur la nécessité de donner à un maximum d’élèves la possibilité de s’exprimer dans des langues autres que la leur. Mais bien que certains systèmes obtiennent des résultats meilleurs que d’autres dans ce domaine, les résultats obtenus en terme de réelle maîtrise des langues étrangères restent globalement décevants au sein de l’UE.
Ce constat doit nous donner l’occasion de nous interroger sur les meilleures façons d’exploiter, d’adapter et d’améliorer les méthodes d’apprentissage des langues actuellement utilisées dans les différents pays et d’aborder la question des langues, non pas en terme de « problème » mais en terme de « potentiel réalisable ». Cet article aborde l’une des solutions possibles, qui fait actuellement l’objet de beaucoup d’attention dans les milieux éducatifs européens, à savoir l’acquisition de nouvelles compétences en langues par le biais de l’enseignement de disciplines non linguistiques.
Origine, évolution et exemples
Au cours des cinquante dernières années, les méthodes d’enseignement et d’apprentissage des langues étrangères ont connu plusieurs phases d’évolution : d’un apprentissage systématique de la grammaire et de la traduction dans les années 50, on est passé à l’apprentissage « mécanique » par répétition, inspiré du béhaviorisme, dans les années 60, puis à l’approche communicative des années 70, et enfin aux méthodes actuelles, qui mettent l’accent sur la forme et la fonction d’une langue. En résumé, on est passé de la « connaissance » de la langue à l’apprentissage de compétences pratiques qui permettent à l’apprenant d’utiliser la langue dans des situations concrètes.
Alors que dans les années 50, seul un petit nombre d’élèves et d’étudiants entreprenaient l’apprentissage d’une langue étrangère, à la fin du XXème siècle, cet apprentissage était étendu à une majorité des élèves de l’enseignement secondaire. L’acquisition de compétences plus avancées en langues a été jugée nécessaire pour un nombre croissant d’étudiants et, dans de nombreux pays, les spécialistes se sont appliqué à encourager cette tendance en perfectionnant les méthodes et en définissant le meilleur moment pour optimiser cet apprentissage. Au cours des années 90, la Commission européenne a recommandé que tous les élèves sortant du système scolaire aient au moins des compétences dans deux langues pratiquées dans l’Union, en plus de leur langue maternelle (principe du 1+2). Ceci a eu le mérite de fixer l’objectif idéal à atteindre, mais a laissé en suspens la question de la définition des méthodes pédagogiques les plus appropriées pour y parvenir. Et si cette question n’a pas été résolue, ce n’est pas tant par manque de connaissance des solutions possibles, que faute de savoir définir les méthodes pour parvenir au but recherché.
Depuis une vingtaine d’années, l’attention s’est concentrée dans certains pays sur l’apprentissage précoce des langues. Avec des enfants de 5 à 10 ans, l’approche est naturellement inspirée des méthodes fonctionnalistes en vigueur dans l’enseignement primaire, c’est à dire apprendre en « apprenant à faire ». Mais cette approche peut tout aussi bien être mise en œuvre avec des apprenants plus âgés. Certains élèves sont bien sûr à même de suivre un enseignement de langues plus classique, mettant l’accent, pour des raisons d’économie horaire, sur l’apprentissage formel. Mais d’autres peuvent tirer profit d’un enseignement inspiré de l’école primaire, intégrant la forme et la fonction afin que l’apprenant utilise la langue pour apprendre et apprend à utiliser la langue. Les enseignants de langues ont depuis longtemps intégré cette méthode, surtout depuis la généralisation de l’apprentissage des langues dans les années 60.
Quelles solutions ?
Les solutions choisies pour améliorer les performances en langues ont souvent consisté à vouloir améliorer la qualité de l’enseignement des langues et augmenter les horaires consacrés aux langues dans les programmes scolaires. En ce concerne la qualité de l’enseignement, seul un effort permanent peut obtenir des résultats. Quant à l’augmentation du nombre d’heures, elle a souvent été considérée comme « non-négociable » pour des raisons évidentes. Or, la méthode active, qui conçoit l’apprentissage comme un processus continu, demande une exposition accrue à la langue. L’amélioration de la qualité de l’enseignement ne permet pas à elle seule de garantir cette plus grande exposition des apprenants.
L’intégration des langues avec des disciplines non linguistiques, dans une approche pédagogique bivalente, est une façon de répondre à ce besoin. Certains s’appuient sur le succès de cette méthode dans certains établissements secondaires privés, notamment ceux dotés d’internats, et sur d’autres continents, pour prôner sa généralisation dans l’enseignement public en Europe.
Le principal avantage de cette approche est évidemment de permettre d’augmenter le nombre d’heures d’exposition à la langue sans augmentation globale des horaires. La justification théorique se fonde sur une bonne compréhension du lien entre type d’exposition à la langue et les résultats obtenus en terme d’apprentissage. Une exposition relativement faible avec une pédagogie appropriée, par exemple, peut donner de meilleurs résultats qu’une exposition plus longue accompagnée d’une méthodologie inefficace.
A l’exclusion des écoles primaires qui ont introduit un apprentissage précoce des langues vivantes, on estime à 3% le pourcentage des écoles publiques européennes qui pratiquent actuellement le CLIL/EMILE. Ce chiffre est sans doute nettement plus élevé dans les écoles privées. Les premières expériences ont généralement été dans l’enseignement secondaire général, mais il semblerait que la méthode s’étende maintenant de plus en plus dans l’enseignement primaire et professionnel.
Le développement de cette approche n’est pas seulement dû à la volonté des parents ou des jeunes eux-mêmes d’améliorer leurs compétences en langues. Il est dû également à l’effet des initiatives nationales et européennes dans ce sens, ainsi qu’à l’évolution des pratiques professionnelles des enseignants de langues dans leur classe, qui font que le CLIL/EMILE apparaît comme une innovation pédagogique en phase avec notre époque et qui répond aux besoins et aux demandes des apprenants. Il est de plus en plus évident que les apprenants, notamment les élèves plus âgés, ne veulent plus apprendre sans application immédiate, mais veulent apprendre en appliquant et appliquer en apprenant, ce qui traduit ce besoin d’immédiateté qui traverse notre société. La mobilité accrue ainsi que la généralisation imminente du haut débit vont sans doute avoir un impact majeur sur les attitudes des apprenants vis à vis de ce qu’ils apprennent, et particulièrement par rapport aux langues étrangères.
Pourquoi le CLIL/EMILE ?
Le CLIL/EMILE fournit un cadre favorable au développement de pratiques pédagogiques optimales sans alourdir les horaires ni grever les ressources. La méthode accroît la confiance des jeunes apprenants et de ceux qui n’ont pas tiré profit des méthodes d’enseignement traditionnelles, convertit les connaissances en compétences et savoir-faire chez les apprenants plus habitués aux approches classiques et répond aux besoins des apprenants plus âgés en terme de savoirs disciplinaires et d’application immédiate. Elle renforce enfin la créativité qui est à la base de toute utilisation authentique d’une langue en situation réelle.
Les expériences récentes de mise en œuvre du CLIL/EMILE montrent que la méthode peut se décliner de plusieurs façons. Loin d’être un point négatif, cette diversité montre au contraire que l’approche peut servir à atteindre des résultats différents selon les besoins : apprentissage de la langue, développement des connaissances et des savoir-faire interculturels, préparation à la mobilité internationale, amélioration de certaines pratiques pédagogiques disciplinaires…
Les bases théoriques de ce type d’enseignement restent encore à consolider, car les initiatives européennes dans ce domaine sont relativement récentes. Les observations empiriques et parcellaires qui peuvent être faites laissent cependant une impression plutôt favorable, notamment sous l’angle des résultats obtenus avec un large éventail d’élèves. L’égalitarisme inhérent à la méthode explique en partie son succès, parce qu’elle ouvre l’accès aux langues à un public plus large qu’auparavant. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne l’apprentissage précoce des langues et l’enseignement professionnel, qui constituent deux publics particuliers à côté du public de l’enseignement secondaire général, souvent plus à l’aise dans les études et plus souvent enclin à poursuivre des études supérieures. Le CLIL/EMILE est perçu comme étant un facteur de démocratisation de l’apprentissage des langues, car les élèves plus faibles peuvent en tirer autant de profit que les plus doués.
Les recherches laissent à penser que l’intensité de l’exposition aux langues et le moment où elle a lieu peuvent être aussi déterminants que la durée, notamment avec certains types d’apprenants. Des périodes d’exposition plus courtes peuvent donc être utiles. De plus en plus, on considère qu’une initiation précoce aux langues (entre 4 et 12 ans) ne peut qu’être bénéfique. Aucun étude sérieuse ne démontre les effets négatifs d’une exposition faible (5-15% de l’horaire total) ou moyenne (15-50%) aux langues étrangères sur la maîtrise de la langue maternelle. L’anglais n’est pas, non plus, la seule langue utilisée dans ce contexte. De plus, il n’est pas nécessaire que les enseignants atteignent dans toutes les formes d’expression une compétence de locuteur natif, bien qu’il leur faille quand même avoir une excellente maîtrise globale de la langue.
Valeur ajoutée
La valeur ajoutée de cette approche varie selon les secteurs et les types d’apprentissage. En premier lieu, elle se traduit par une valorisation des compétences linguistiques de l’apprenant sur le marché du travail et dans sa vie personnelle. A terme, c’est donc la « rentabilité » même de l’investissement collectif dans l’enseignement des langues qui se trouve renforcée. Autres avantages de l’enseignement intégré des langues :
Conclusion
Tout le monde s’accorde à dire que l’enseignement et l’apprentissage des langues, tels qu’ils sont actuellement pratiqués dans les systèmes éducatifs extrêmement divers de l’Union européenne, doivent évoluer. Certains soutiennent que l’enseignement des langues actuel n’a pas réussi, la plupart de temps, à fournir des conditions propices à l’apprentissage du plus grand nombre. Le CLIL/EMILE apparaît donc comme une solution européenne concrète en réponse à un besoin européen. Le principe « langue maternelle + deux langues étrangères » est mis en avant alors que l’on constate globalement un manque d’investissement et un manque d’efficacité dans l’enseignement des langues. Le CLIL/EMILE peut fournir une réponse économique, efficace et durable à ce problème.
L’apprentissage simultané d’une langue et d’une discipline fournit une approche pédagogique différente, bénéfique aussi bien pour l’apprentissage de la langue que pour l’apprentissage des disciplines non linguistiques. Il présente aussi des avantages sociaux, psychologiques et économiques susceptibles d’intéresser les décideurs politiques. Le CLIL/EMILE doit donc désormais être pris en compte à la fois dans la définition et la mise en œuvre des politiques linguistiques au niveau européen et national.
Note
(1) Public Services Contract 2001 – 3406/001 – 001
Bulletin d'information 9 du CEL - avril 2003