Rapports

La mise en œuvre du CLIL/EMILE : problèmes et solutions possibles

Carmel Mary Coonan
Université Ca’ Foscari, Venise, Italie

Table des matières
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Cet article se propose d’examiner un certain nombre de problèmes rencontrés dans la mise en œuvre de l’enseignement plurilingue intégré, dans un certain nombre de situations « nouvelles ».

Définition du CLIL/EMILE

Le CLIL/EMILE consiste à enseigner de façon intégrée une langue et des disciplines non linguistiques dans des contextes pédagogiques bilingues ou plurilingues, c’est à dire là où l’enseignement est pratiqué dans deux ou plusieurs langues (1), l’une étant la langue A (langue dominante) et l’autre étant une langue B (deuxième langue étrangère ou langue seconde). (2) De nombreuses autres appellations existent, en anglais comme en français : « content based language learning », « language enhanced content teaching », « éducation bilingue », « intégration du contenu et des langues» ou « enseignement par immersion » (voir par exemple Nikula, 1997 ; Wolff, 1997). Comme l’écrit Nikula, le concept du CLIL/EMILE est « suffisamment large pour couvrir à la fois l’enseignement par immersion, où tout l’enseignement a lieu dans la langue B et d’autres types d’enseignement bilingue, où seuls certains cours sont dispensés dans la langue B» (1997 : 6).

Le CLIL/EMILE s’intéresse à un des problèmes essentiels de l’enseignement bilingue, à savoir que l’apprentissage linguistique dans la langue B ne peut pas être laissé au hasard et doit être suivi de près. A défaut, soit l’apprentissage des disciplines non linguistiques peut être perturbé par des difficultés d’ordre linguistique, soit l’apprentissage de la langue B peut être ralenti, ce qui serait paradoxal alors que l’enseignement bilingue est censé promouvoir un meilleur apprentissage de la langue B (et de sa culture) ! (voir Snow et al. 1989 : 2001 ; Swain 1985). (3) Le CLIL/EMILE doit donc permettre d’atteindre un double objectif : progresser à la fois dans la langue et dans la discipline apprise par le biais de la langue, par un enrichissement mutuel. L’optimisation du processus d’apprentissage des langues que permet théoriquement l’enseignement bilingue (par une plus grande immersion et une optimisation des conditions pédagogiques) ne peut se réaliser que si ce double objectif est atteint.(4)

Changement de perspective

Dans la situation décrite ci-dessus, la langue B est l’instrument qui permet d’atteindre les objectifs d’apprentissage de la discipline non linguistique enseignée. La langue B doit donc fonctionner comme la langue A dans le processus d’apprentissage. Mais l’enseignement d’une discipline non linguistique ne peut généralement être confiée qu’à un enseignant légalement habilité à enseigner cette discipline. Or ceci n’est pas toujours possible, puisque les systèmes d’enseignement supérieur européens reconnaissent rarement une double qualification pédagogique dans des disciplines non apparentées. Comment les pays qui pratiquent l’enseignement bilingue arrivent-ils donc à contourner cet obstacle ? Prenons l’exemple de l’Italie, à travers deux aspects particuliers qui permettent de mettre en lumière les dangers potentiels de ce type de situation.

i) Travail en équipe

Une des solutions adoptées est celle de l’équipe pédagogique : deux enseignants (celui de la discipline et l’enseignant de langue) (5) sont physiquement présents pendant le cours. Dans l’idéal, l’enseignant spécialisé dans la discipline enseigne dans la langue B et l’enseignant de langue intervient pour aider à résoudre les problèmes linguistiques et participer à l’encadrement des travaux de groupe, etc. Dans la pratique, une enquête menée dans certaines écoles secondaires (Pavesi et Zecca, 2001) (6) montre que cette cohabitation de l’enseignant de la discipline et de l’enseignant de langue (locuteur natif) peut avoir des effets négatifs sur l’usage par les élèves et par l’enseignant de la langue B.

L’enquête a révélé que la pratique était souvent de présenter d’abord la discipline dans la langue première et que les élèves utilisaient majoritairement cette langue dès qu’ils rencontraient des difficultés dans la discipline. La langue A est utilisée prioritairement avec et par l’enseignant de la discipline, alors que la langue B est plutôt utilisée avec et par l’enseignant de la langue. L’explication réside sans doute dans les rôles institutionnels bien définis de chaque enseignant qui font que l’enseignant en langue A aura d’autant moins tendance à basculer vers la langue B qu’il/elle sait pouvoir se reposer sur la présence de l’enseignant de la langue en question. Dans cette situation, la langue B n’est pas suffisamment utilisée dans l’enseignement de la discipline pour que les élèves en retirent un véritable avantage en termes quantitatifs et qualitatifs. De plus, l’accent risque d’être mis sur les seuls aspects linguistiques et formels de la langue B (à travers les interventions du spécialiste de la langue) et non sur la langue en tant que moyen de communication.

ii) L’enseignant de langue B

A nos yeux, les problèmes évoqués ci-dessus proviennent d’un manque de préparation pour l’enseignement bilingue. Peu de formations à la méthodologie spécifique de l’enseignement bilingue existent, que ce soit en Italie ou ailleurs en Europe. Lorsqu’elles existent, elles touchent rarement les enseignants de disciplines non linguistiques. (7) Ceux qui s’inscrivent sont des enseignants de langues soucieux de mieux connaître ce nouvel environnement pédagogique. Il faut donc trouver le biais qui permette d’intéresser les enseignants non linguistes (revues consacrées à leur discipline, instituts de formation des maîtres, etc.), de les informer sur l’enseignement bilingue et de former ceux qui souhaitent s’y engager. (8) Actuellement, il existe bien un certain nombre d’enseignants de langues dans différentes régions du pays qui se passionnent pour l’enseignement bilingue et qui sont prêts à travailler avec leurs collègues des autres disciplines.

Il existe déjà par ailleurs des enseignants de langues qui pratiquent l’enseignement bilingue, en profitant de la nouvelle loi sur l’autonomie des établissements scolaires, qui leur donne une plus grande latitude dans l’organisation de leurs programmes. Ces enseignants travaillent en collaboration étroite avec des enseignants de certaines disciplines pour développer des modules thématiques disciplinaires ou pluridisciplinaires. L’enseignant de langues ne peut pas prendre la responsabilité de l’enseignement de la discipline à part entière, mais peut intégrer dans son propre enseignement des éléments qui prolongent ce que l’enseignant de la discipline enseigne dans la langue A. Cette approche pose également un certain nombre de problèmes :

Toutefois, pour conserver tout son sens, l’enseignement intégré bilingue véritable implique que l’apprenant participe à travers la langue B à un processus cognitif et aux apprentissages et aux activités spécifiques liés aux autres disciplines. Comme le décrit Wolff (1997 : 61-62), les situations artificielles qui caractérisent trop souvent l’apprentissage d’une langue étrangère ne doivent pas se substituer à l’authenticité de ce processus cognitif.

Références bibliographiques

Marsh, D. et al. 1997. Aspects of Implementing Plurilingual Education: Seminar and Field Notes. Jyvaskyla : University of Jyväskylä Continuing Education Centre.

Nikula, T. 1997. Terminological considerations in teaching content through a foreign language. In : Marsh, D. et al., Aspects of Implementing Plurilingual Education, 5-8.

Pavesi, M. and M. Zecca. 2001. La lingua straniera come lingua veicolare: un’indagine sulle prime esperienze in Italia , CILTA, 1, 31-57.

Snow, M. et al. 1989. A conceptual framework for the integration of language and content in second/foreign language instruction, TESOL Quarterly, 23, 2, 201-217.

Swain, M. and S. Lapkin. 1982. Evaluating Bilingual Education: a Canadian Case Study. Clevedon: Multilingual Matters.

Swain, M. 1985. Communicative competence: Some roles of comprehensible input and comprehensible output in its development. In: S. Gass and C. Madden, (eds), Input in Second Language Acquisition. Rowley, MA: Newbury House.

Swain, K.M. (1991) « Manipulating and Complementing Content Teaching to Maximise Second Language Learning », in Philipson, R. et al., Foreign/Second Language Pedagogy Research, Multilingual Matters, Clevedon .

Wolff, D. 1997. Content-based bilingual education or using foreign languages as working languages in the classroom. In: D. Marsh et al., Aspects of Implementing Plurilingual Education.

Notes:

(1) Le terme plus traditionnel « enseignement bilingue » sera utilisé ici pour désigner les situations mettant en jeu deux ou plusieurs langues.

(2) Bien que la distinction ait son importance dans le cadre de l’enseignement bilingue, nous utiliserons ici le terme « langue B » pour désigner à la fois la langue « seconde » et la première langue étrangère.

(3) Le rapport de Swain and Lapkin publié en 1982 (cf. Bibliographie) et les publications ultérieures de Swain en collaboration avec divers auteurs insistent sur l’importance de la forme dans des situations d’enseignement par immersion.

(4) Voir les commentaires de Wolff (1997 : 61-62) concernant les mérites respectifs des différentes formes d’enseignement bilingue intégré

(5) En Italie, l’enseignant de langues est généralement dans ce cas un « expert » de langue maternelle travaillant comme assistant d’un enseignant de langue titulaire.

(6) Les écoles concernées faisaient partie des lycées « européens » (Liceo Classico Europeo) et « internationaux » (Liceo ad indirrizo internazionale) mis en place par le Ministère de l’Education. Il existe une vingtaine de lycées de ce type.

(7) Depuis quatre ans, le Département de sciences du langage de l’Università di Ca’ Foscari propose une formation de 3ème cycle en un an pour des enseignants (ou futurs enseignants) sur le thème du CLIL/EMILE, mais n’a pas réussi à attirer beaucoup d’enseignants non linguistes.

(8) L’IRRE du Piémont a mis en place un projet d’enseignement des disciplines scientifiques par l’intermédiaire de la langue B. Chaque enseignant de langue participant doit former un binôme avec un enseignant de sciences.

(9) L’acronyme CLIL/EMILE pourrait s’appliquer à toute situation d’apprentissage impliquant l’intégration d’un contenu disciplinaire et d’une langue. L’enseignement des langues a aujourd’hui tendance à s’appuyer de plus en plus sur des contenus disciplinaires de façon à initier les apprenants à des registres de langue diversifiés et à des aspects de la langue correspondant à leur spécialisation professionnelle. Les élèves d’un lycée professionnel préparant aux métiers du tourisme seront ainsi exposés à des utilisations de la langue propres à ces métiers.


Bulletin d'information 9 du CEL - avril 2003